Exploration énigmatique des systèmes de nutrition végétaux et animaux

Marc-André Selosse nous pose une énigme avec 7 indices : qu'est-ce qu'il y a de commun entre la nutrition d'une plante et la nutrition d'un organisme animal comme le nôtre.

« Dans le monde vivant il y a des choses qui sont vraies un peu partout et qu’on ne voit pas forcément et l’une des vertus des sciences de la vie et de la terre par exemple c’est d’arriver à les déterminer et par exemple il y a une choses communes entre ce qui nourrit des plantes comme celles qui nous entourent et ce qui nous nourrit nous. Est-ce que vous allez arriver à trouver le point commun entre ce qui nourrit les plantes et ce qui nous nourrit nous ? C’est pas évident parce que les plantes font leur photosynthèse, se nourrissent à partir du sol. Nous, on se nourrit à partir d’aliments déjà fabriqués. Les plantes sont autotrophes, nous sommes hétérotrophes. Ça ne parait pas si évident et pourtant il y a un point commun.

Premier indice

Pour le vin, l’une des préoccupations de nos ancêtres était de ne pas boire de l’eau contaminée par des bactéries qui pouvait leur coller des dysenteries ou des diarrhées assez violentes. Alors l’une des solutions était de chauffer l’eau. C’est la tradition du thé ou des infusions. Mais l’autre c’est de prendre des boissons fermentées comme la bière ou le vin. La légère quantité d’alcool qu’il y a dans la bière ou, plus importante, dans le vin sont des antibiotiques qui font que ces boissons là ne sont pas contaminées. Donc, historiquement, l’habitude de boire des boissons alcoolisées est bien sûre venue d’un goût pour l’alcool mais aussi parce que les métabolites libérées par les microbes et aussi l’acidité sont en fait des antibiotiques. Ce qui fait que cette boisson était autrefois plus saine que la première eau venue (il n’y avait pas d’eau du robinet).

Deuxième indice

Il y a beaucoup d’aliments qui sont fermentés comme par exemple le pain et le fromage. C’est à dire qu’il y a des microbes qui se sont développés dedans. Aujourd’hui ça fait des aliments plus agréables à manger que du lait tout simple ou des grains de blé mais historiquement ça a été très important. Parce qu’historiquement nos ancêtres ne toléraient pas le lactose (ils ne pouvaient pas digérer le lait). Quand ils mangeaient du fromage et bien le lactose avait été consommé par les micro-organismes qui font le fromage et du coup c’était du lait qui était devenu comestible. C’est un peu pareil pour le pain. Dans les vieilles variétés de céréales utilisées (au tout début de la domestication des céréales) il y avait des toxines qu’on appelle les phytates qui provoquent une déminéralisation de l’organisme. En fait en faisant fermenter la farine lorsqu’on prépare le pain, les microbes présents détruisent ces toxines. Et puis, plus généralement, la légère acidification qui se passe lors de ces fermentations empêche l’installation de microbes indésirables ce qui permet de stocker le pain ou le lait fermenté en forme de fromage plus longtemps. Et donc il y a des micro-organismes qui permettent à nos aliments d’être moins toxiques, mieux conservés et même d’ailleurs plus riches en vitamines parce que lorsqu’on mange un morceau de fromage il y a des cellules microbiennes vivantes qui contiennent des vitamines qui sont bien sûr déjà oxydées dans le pain ou dans la farine.

Troisième indice

Dans notre tube digestif il y a énormément de bactéries. Il y en a pratiquement autant qu’on a de cellules dans notre organisme. Ces bactéries sont multiplement importantes. D’abord en habitant le tube digestif elles empêchent les bactéries pathogènes de venir s’installer là donc elles nous protègent ensuite elles se nourrissent des mêmes aliments que nous. Elles contribuent à produire des enzymes qui contribuent à digérer ces aliments et donc nous aident à digérer. Et enfin elles produisent des vitamines qui complètent notre alimentation. On sait aujourd’hui élever des souris sans bactérie nulle part y compris dans leurs tubes digestifs. On s’aperçoit qui leur faut 30% d’aliment en plus pour grandir autant et régulièrement il faut leur donner des vitamines en plus parce qu’elles n’ont pas ces bactéries. On ne se nourrit pas bien, notre tube digestif ne fonctionne pas bien sans micro-organismes, surtout des bactéries, quelques levures et c’est pour ça qu’aujourd’hui il faut limiter les antibiothérapies, manger une alimentation diverses et pas forcément toujours stérilisée et que des questions importantes comme les fromages au lait cru touche à la diversité des microbes que nous mettons dans notre tube digestif et qui seront à même, demain, de nous aider à nous nourrir et à nous nourrir bien.

Quatrième indice

Quant aux plantes… d’abord les plantes… elles ont des racines. Ces racines leur permettent d’explorer le sol. Elles leur permettent d’aller chercher de l’eau, des sels minéraux comme de l’azote, du phosphate, des choses comme ça dans le sol. On pense souvent que les racines font le travail toutes seules mais ce n’est pas vrai. En fait dans ces racines il y a des champignons. Des champignons qui vivent à la fois dans les racines sans les abimer et dans le sol. Du coup ceci est à la fois une racine et un champignons car il y a des champignons dedans. On parle de mycorhize pour cette structure qui est mixte. Il faut bien imaginer que c’est le champignon qui va chercher l’eau et les sels minéraux dans le sol.
9/10e des plantes n’arrivent pas à se nourrir ou pas à se nourrir bien sans ces champignons et en échange ces plantes nourrissent ces champignons en leur donnant des sucs issus de leur photosynthèse. Donc on voit bien que la capacité des plantes à exploiter le sol c’est quelque chose qu’elles font grâce à des champignons, ces champignons qui font des mycorhizes et qui aident les plantes à trouver les ressources qui, dans le sol, ne sont pas très abondantes.

Cinquième indice

La plante a aussi des parties vertes (tige et feuilles) et c’est l’autre partie de sa nutrition. Cette plante fait la photosynthèse : elle exploite le CO2 atmosphérique et elle capte la lumière pour faire des sucres. Mais cette photosynthèse elle la fait dans les cellules au niveau de petites particules qui contiennent la chlorophylle et qui sont vertes : les chloroplastes. Et on sait aujourd’hui que ces chloroplastes sont en fait des bactéries qui vivent dans les cellules. ça veut dire que de génération en génération les plantes se transmettent dans leurs cellules des petites bactéries qu’elles nourrissent et qui sont capables, parce qu’elles ont de la chlorophylle de faire de la photosynthèse. La capacité d’une plante à faire de la photosynthèse provient tout simplement du fait qu’elles sont habitées de bactéries auxquelles elles ont empruntés leurs capacités à faire la photosynthèse. Ces bactéries sont devenues parties intégrantes de la plante mais sans bactérie la photosynthèse ne se ferait pas dans les plantes.

Septième indice

Dans le sol qu’exploite la plante il va y avoir bien sûr de l’eau, du phosphate, du souffre, du fer, tout un tas d’éléments dont a besoin la plante mais il y en a un dont la présence dans le sol est complètement inattendue c’est l’azote. La plante trouve dans le sol de l’azote sous forme de nitrate ou d’ammonium. Bien sûr ce n’est pas la plante comme on l’a vu dans un autre indice mais un champignon qui va chercher les éléments dans le sol pour le compte de la plante.
Il y a de l’azote dans le sol mais d’où vient-il ? Parce que quand les sols se développent sur la roche (la roche contient du potassium, du phosphate, du fer mais pas du tout d’azote). En fait l’azote qui est dans le sol provient de bactéries qui sont capables de transformer l’azote atmosphérique en protéines pour elles. Quand elles meurent, leurs corps bactériens en se décomposant dans le sol vont libérer de l’azote qui sera de l’azote ammoniacal ou de l’azote nitrique c’est à dire de l’azote qu’ensuite les plantes aidées de leurs champignons pourront exploiter. En d’autres termes s’il y a de l’azote dans le sol c’est parce que des bactéries sont capables de transformer de l’azote de l’atmosphère en azote compatible avec les besoins d’un champignon ou d’une plante. ça veut dire qu’il n’y aurait pas d’azote dans le sol s’il n’y avait pas de bactéries.

Réponse

La question qu’on se posait : qu’est-ce qu’il y a de commun entre la nutrition d’une plante et la nutrition d’un organisme animal comme le nôtre. Et on était parti de l’idée qu’à priori rien parce que finalement les uns étaient autotrophes et les autres hétérotrophes.
En fait le point commun est que tout ça ne pourrait pas se passer sans bactéries. Elles nous aident à digérer, à préparer nos aliments. Pour les plantes, elles font la photosynthèse, produisent de l’azote dans le sol, aident les plantes à aller chercher des ressources dans le sol (champignons mycorhiziens). En fait  les grands organismes que nous voyons cachent un secret, un secret fonctionnel… sans les microbes qui les habitent ou qui habitent autour d’eux ils ne se nourriraient pas. En fait il y a bien d’autres choses que ces microbes font pour eux mais c’est une autre histoire.
Sans microbe… pas de vie !

 

Marc-André Selosse

Mini-biographie :
Professeur au Museum National d’Histoire Naturelle de Paris, Membre de l’Académie d’Agriculture de France, Président de la Société botanique de France, Directeur de recherche au Brésil, en Pologne et en Chine.

Biographie :
° La Symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif, Paris, Vuibert, , 154 p. (ISBN 2-7117-5283-6).
° Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Arles, Actes Sud, , 368 p. (ISBN 978-2-330-07749-5).
° Les goûts et les couleurs du monde. : Une histoire naturelle des tannins, de l’écologie à la santé, Arles, Actes Sud, , 358 p. (ISBN 978-2-330-12677-3)

 

 

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