L’élevage européen : quels leviers sur le changement climatique ?

La transition agroécologique est un atout très important pour réduire les impacts environnementaux réciproques élevage - environnement. Magali Jouven nous explique à quelles conditions.

00.50 : Quelles sont les relations de cause à effet entre élevage et changement climatique ?

Aujourd’hui, les impacts négatifs de l’élevage sur le changement climatique sont fortement mis en avant. En Union Européenne, 60% des surfaces cultivées en céréales sont destinées à l’alimentation des animaux d’élevage (3/4 pour les monogastriques et ¼ pour les ruminants). La majorité des oléo-protéagineux (et en particulier le soja) sont importés, en particulier d’Amérique Latine avec des méthodes de culture intensives. L’élevage consomme également beaucoup d’eau, avec cependant des variations très importantes entre systèmes, mais aussi entre méthodes de calcul de ces consommations. Une partie de l’eau consommée, dite « EAU BLEUE » correspond à l’utilisation des eaux de surface et souterraines pour l’irrigation des cultures, l’abreuvement des animaux, le lavage des salles de traite etc. Une autre partie, dite « EAU VERTE » correspond à l’eau stockée dans le sol et utilisée par les végétaux consommés par les animaux d’élevage et qui aurait pu peut être être utilisée par d’autres plantes. Enfin, l’élevage est connu pour sa contribution aux émissions agricoles de Gaz à Effet de Serre par l’élevage ; en Europe, la majorité de ces émissions est liée à la production, transformation et au transport d’aliments. Sachant qu’il y a deux autres postes importants qui sont les fermentations entériques des ruminants qui dégagent du méthane et les émissions liées au stockage des effluents d’élevage.  L’élevage contribue ainsi, directement et indirectement, à accélérer le changement climatique.

02.40 :

Ce qu’on oublie parfois, c’est que le changement climatique a des effets négatifs marqués sur l’élevage. L’augmentation des températures met à l’épreuve les capacités d’adaptation des animaux, en particulier lorsqu’ils sont élevés en bâtiment. La fréquence accrue des sécheresses met en péril l’alimentation des troupeaux, en particulier dans les régions où celle-ci est basée sur le pâturage de végétations naturelles. En plus de cela, on assiste à la récurrence d’inondations, de feux et d’épizooties qui portent atteinte aux troupeaux voire les déciment. Le changement climatique est donc un réel problème pour l’élevage. En définitive, ce sont bien les relations à double sens, entre élevage et changement climatique, qui posent problème aujourd’hui. Heureusement, il existe des solutions pour apaiser ces relations.

03.35 : Quelles sont les limites du modèle d’élevage « conventionnel » ?

Le modèle d’élevage dit « conventionnel », qui s’applique à la fois à l’élevage de ruminants (bovins, ovins, caprins) et à l’élevage de monogastriques (porcs, volailles), est fortement mis à mal par le changement climatique.

Ce modèle considère l’animal (et le végétal) comme des outils de production, sélectionnés pour être les plus performants possibles dans des conditions données. Ainsi, on ne cherche pas à valoriser les capacités d’adaptation des animaux. L’élevage « conventionnel » vise à maîtriser l’environnement pour améliorer constamment les « performances animales » (croissance, production de lait, etc.) notamment par une sélection génétique poussée. Ceci a été rendu possible jusqu’à présent par la consommation de nombreux intrants (carburants pour la mécanisation, aliments et compléments achetés, traitements sanitaires préventifs, etc.). Ces intrants sont coûteux du point de vue économique mais aussi environnemental.

Donc le modèle conventionnel propose une vision assez réductrice de l’animal, de ses compétences et des relations animal-environnement.

05.25

Dans le système « conventionnel », il existe une planification forte des pratiques de conduite et les éventuels aléas sont gérés principalement en renforçant le recours aux intrants. Par exemple, en élevage de ruminants, si la production fourragère de l’année est insuffisante, on achète des aliments à l’extérieur. L’ensemble du système est optimisé pour maximiser les rendements d’un produit (œufs, viande, lait) et l’unique production est ainsi sensible aux aléas du marché.

06.06

Pour pouvoir répondre aux défis soulevés par le changement climatique, il faut donc sortir de ce modèle dit « conventionnel ». Heureusement, à l’échelle mondiale ce n’est pas le modèle dominant ; cependant, il reste plébiscité pour répondre à la demande mondiale croissante en produits animaux. C’est le modèle dominant des grosses unités de production mais il y a encore énormément d’élevages familiaux.  Cependant ce modèle conventionnel à l’échelle mondiale reste encore largement plébiscité comme un moyen de répondre à la demande mondiale croissante en produits animaux.

6.48 : L’agroécologie peut-elle nous apporter des solutions ?

L’agroécologie est une discipline scientifique qui utilise les principes de l’écologie pour concevoir et analyser les systèmes agricoles. Elle a initialement été formalisée pour les productions végétales ; un des scientifiques pionniers de la discipline est Miguel Altieri, professeur chilien et américain, qui a écrit dès les années 1980 plusieurs ouvrages qui font référence. L’agroécologie, c’est aussi une philosophie, une manière de produire qui s’appuie sur la diversité biologique et met en avant l’autonomie, l’adaptation au milieu mais aussi la collaboration entre acteurs. En agroécologie, les systèmes agricoles sont productifs non parce que leurs rendements pour un produit donné sont exceptionnels mais parce qu’ils fournissent une grande diversité de biens et de services. Le tout cumulé, la production totale est importante. Cette diversité limite la fragilité aux aléas puisque l’exploitation n’est plus tributaire d’un seul marché. Ces systèmes sont économes en intrants, car ils misent sur la valorisation des ressources locales, naturelles ou produites au sein ou à proximité de l’agroécosystème. Ils préservent les ressources naturelles, dans leur diversité, car celles-ci sont directement ou indirectement nécessaires au bon fonctionnement de l’agroécosystème et donc, par voie de conséquence, à la production agricole.

08.42 : Dans les années 2010, plusieurs groupes de chercheurs ont travaillé à l’élargissement de l’agroécologie aux productions animales. Un de ces groupes, animé par Bertrand Dumont de l’INRAE, a proposé cinq principes agroécologiques pour l’élevage.

Parmi ces principes, trois me semblent particulièrement pertinents à considérer, en lien avec le changement climatique :
– principe P2 (Baisser les intrants en utilisant les processus écologiques),
– principe P3 (Réduire les pollutions en bouclant les cycles)
Ces deux principes permettent de limiter l’impact de l’élevage sur le changement climatique en réduisant l’empreinte écologique de ces activités d’élevage ; ils permettent également de rendre les élevages plus autonomes et donc moins vulnérables à des aléas externes.
Mais il y a aussi le principe P4 (Utiliser la diversité pour accroître la résilience) qui permet de réduire la sensibilité à des aléas externes via la diversification des activités et des composantes biologiques.

09.45 : Pour que cela ait un sens il faut des complémentarités au sein de cette diversité soient valorisées. Les chercheurs ont proposé des principes.

Ceux-ci correspondent en quelque sorte à des logiques ou à des objectifs à privilégier. Pour autant, ces principes ne sont pas opérationnels. Pour qu’ils le deviennent il va falloir les traduire en pratiques. Ces pratiques et leurs traductions dépendent du contexte c’est-à-dire des caractéristiques de l’agroécosystème considéré mais aussi de son environnement physique, écologique, socio-économique. Ainsi, on ne peut pas associer systématiquement des résultats (ou un niveau de performance) à une pratique donnée. C’est pour cela qu’en agroécologie on parle de principes.

10.34 :

Un exemple qui montre qu’on ne peut pas associer une pratiques à des résultats. Dans cet exemple vous avez des résultats issus de simulations (donc d’une mise en situation théorique dans des conditions un peu plus simple que la réalité de terrain).
On a trois exploitations de bovins allaitants typiques du Massif Central :
Le carré correspond à un système plutôt extensif.
Le triangle à un système plutôt intensif.
Le rond à un système intermédiaire.
Ces trois exploitations différents entre elles par le type de prairies, les modes de récolte, les objectifs de production.

11.26 : Pour ces trois systèmes types, on a fait varier un élément qui décrit une pratique de conduite du pâturage qui est  la hauteur d’herbe en sortie de parc au pâturage tournant. Et donc les symboles situés à gauche correspond à un pâturage sévère avec une sortie d’herbe en sortie de parc à 4 centimètres et à droite on arrive à un pâturage plutôt laxiste qui laisse les animaux trier le meilleur. Dans ce cas on laisse les animaux sortir du parc avec une hauteur d’herbe de 12 cm.

Que voit-on ? En abscisse la production du système en kg de viande corrigé par les intrants nécessaires à la produire. Donc si on a beaucoup de kg de viande mais beaucoup d’intrants, la production de viande autonome est plutôt faible. Si on a une production moyenne mais très peu d’intrants pour la produire, la production autonome va être élevée. On voit que cette production autonome, quand on fait varier la hauteur en sortie de parc, soit elle stagne soit elle varie un petit peu de manière positive ou négative selon les systèmes. En abscisses, on a la note de diversité des prairies. C’est un indicateur synthétique d’état écologique des prairies. On voit bien que quand on fait varier les pratiques on n’a pas des effets aussi marqué selon les exploitations.

12.56 : On voit bien qu’il est extrêmement risqué de vouloir associer une pratique ou un changement de pratique à un changement de performance sur l’exploitation

13.27 : Quelles solutions concrètes, alternatives, leviers pourrait-on actionner pour aller vers cette transition agroécologique ?

Une étude menée récemment, à partir des données de la statistique agricole en France, a montré qu’il existait des déséquilibres au sein des territoires entre la disponibilité de ressources végétales pour l’alimentation du bétail d’une part, et la consommation par les élevages d’autre part.

13.56 : La carte montre une distribution de cinq situations en terme de petites régions agricoles :
– des petites régions en bleu qui vont être déficitaires en aliments du bétail
– des petites régions en jaune qui vont avoir énormément de productions végétales et très peu d’élevage et donc très excédentaires
– trois groupes intermédiaires : les petites régions en vert vont être autonomes en fourrage mais pas en concentrés ; les petites régions en orange vont être excédentaires en concentrées.

En supposant qu’on veuille nourrir les animaux avec les ressources localement disponibles.

En France, clairement, l’adaptation du type d’élevage et des objectifs de production aux ressources localement disponibles permettrait d’éviter le recours systématique à des achats d’aliments. Ce serait un moyen de réduire l’impact de l’élevage sur le changement climatique en limitant les consommations d’énergie pour la fabrication et le transport d’aliments. Ce serait aussi un moyen de limiter l’impact du changement climatique sur l’élevage en diversifiant les ressources et en s’affranchissant en partie des marchés.

15.13

Les ressources alimentaires valorisables par l’élevage (ruminants et monogastriques) sont extrêmement variées : végétations spontanées, couverts herbacés sous vignes et vergers, intercultures ou résidus de culture, sous-produits agro-industriels et, bien sûr, des cultures dédiées à l’élevage (fourrages, céréales, oléo-protéagineux). Pour valoriser cette diversité de ressources, on peut mobiliser la diversité des espèces d’élevage (petits et grands herbivores, ruminants ou monogastriques, volailles, porcs) et la diversité des systèmes de production. La disponibilité de ressources alimentaires, d’animaux de renouvellement mais aussi de marchés renvoie à une organisation au sein des territoires qu’il va être nécessaire d’enclencher pour valoriser ses ressources locales. Derrière cela il y a la nécessité d’avoir des démarches collectives, associant une diversité d’acteurs dont, potentiellement, les consommateurs qui seront les utilisateurs de produits animaux.

16.24

Pour valoriser les ressources végétales présentes sur le territoire selon une logique agroécologique, il est essentiel de ne pas miser en priorité, comme on l’a fait pendant longtemps, sur les cultures dédiées à l’élevage. En évitant d’alimenter les animaux à partir des surfaces dédiées exclusivement à l’alimentation animale on peut limiter la concurrence entre élevage et agriculture. Entre alimentation animale et alimentation humaine pour l’usage des terres. A l’inverse, on reconnaît aujourd’hui de manière croissante les services rendus par les animaux d’élevage, et en particulier la fertilisation, la « tonte » des couverts par les herbivores, la consommation d’insectes ou vers nuisibles par les volailles ou encore le labour par les porcs.Vous avez quelques photos illustrant ces différents services.

17.16 : Via des collaborations entre acteurs (agriculteurs, producteurs d’énergie, collectivités territoriales, etc.) ces services peuvent être associés à la mise à disposition de ressources alimentaires pour l’élevage. En générale elles sont  complémentaires d’autres et sont utilisées par le pâturage ou le parcours pour les porcs. Pour accéder à ces ressources et pour permettre le multi-usage, il est nécessaire de recourir à une certaine mobilité des troupeaux.  En effet il y a certaines périodes pendant lesquelles on souhaite enlever les animaux pour réaliser les autres usages. On peut imaginer des complémentarités entre activités d’élevage et autres activités sans une présence physique des animaux au pâturage sur les parcelles. On peut le faire par exemple en valorisant de friches ou des intercultures pour produire des fourrages récoltés, ou encore en utilisant des sous-produits agro-industriels produits localement.

18.25 : L’agroécologie, appliquée à l’élevage, encourage le lien relativement direct entre les animaux et les surfaces. Qu’il s’agisse de liens intra-exploitation (dans des systèmes intégrés agriculture-élevage au sein d’une ferme) ou qu’il s’agisse de re-connection d’activités à l’échelle du territoire. Cette re-connection peut avoir lieu à plusieurs échelles et elle peut impliquer du coup une à plusieurs exploitation(s).

18.53 : Pour reconnecter agriculture et élevage, il s’agit de valoriser les déchets d’une activité (pailles végétales, déjections animales par ex.) comme intrants pour une autre (la paille va devenir de la litière ou un fourrage pour les animaux ; les déjections animales vont devenir un fertilisant pour les cultures). On peut aussi reconnecter agriculture-élevage en  valorisant, par une activité associée, des services potentiels rendus par l’autre (par exemple utiliser la traction animale pour le travail du sol en maraîchage ou en viticulture). La valorisation des complémentarités entre activités va nous aider à lutter contre le changement climatique en réduisant les déchets et les intrants nécessaires à la production. Ces intrants qui étaient responsables pour une part importante des émissions de GES en Union Européenne. Ces valorisation des complémentarités entre activités va nous permettre de réduire les GES associés au stockage des déjections animales qui étaient un autre poste important d’émission de GES.

10.00

La diversification des productions (que ce soit à l’échelle de l’exploitation ou à celle du territoire) démultiplie les connections possibles. Si on a  un seul atelier d’élevage et un seul atelier végétal on a la possibilité de les connecter entre eux. Si on a plusieurs ateliers d’élevage et plusieurs ateliers de production végétale les possibilités de connexion se démultiplient. Cependant attention, ce n’est pas parce qu’un territoire comporte plusieurs activités que ces ateliers sont connectés entre eux. L’intégration entre atelier est donc une démarche volontaire qui fait partie de la stratégie de production. En effet, dès la conception du système il s’agit d’agencer spatialement et temporellement les différentes productions pour favoriser les synergies. Ceci fonctionne si on associe des surfaces (ou cultures) et espèces (ou races) complémentaires d’un point de vue écologique. La diversification des productions animales et végétales permet de diluer les risques associés au changement climatique car tout le monde n’est pas sensible aux mêmes aléas.  Et cela va permettre aussi de gagner en autonomie et donc de réduire les intrants via une valorisation plus complète des ressources du milieu. Cela si on choisit des espèces animales qui utilisent des niches écologiques complémentaires.

De manière générale, valoriser la biodiversité (naturelle et domestique) permet de développer l’autonomie et la résilience des systèmes. Comme on l’a vu précédemment on peut mixer agriculture-élevage et  même de poly-culture et poly-élevage. Au vu de la diversité des milieux d’une part et de l’importance des variations saisonnières et pluriannuelles du climat il ne va pas suffire de rechercher des espèces/races ou variétés résistantes à la chaleur en prévision du réchauffement climatique car il va falloir que les animaux s’adaptent.  Et donc la diversité biologique et l’adaptation des animaux et des plantes vont être des points clé à prendre en compte. Ainsi, au sein de ces systèmes, on va pouvoir développer la diversité et notamment la diversité fonctionnelle.

22.22 : La diversité fonctionnelle est une clé d’interprétation de la biodiversité qui se concentre sur les complémentarités écologiques entre organismes. Parmi les végétaux, on va pouvoir différencier les graminées des légumineuses, les herbacées des ligneux, etc.  Parmi les animaux d’élevage on va différencier les herbivores des omnivores, les grands animaux à cycle de production long comme les bovins et les petits animaux à cycle de production court comme les ovins ou la volaille, etc.

22.55 : Pour pouvoir utiliser cette diversité fonctionnelle, il faut avant tout la reconnaître et ensuite, comme dit précédemment, l’agencer dans le temps et dans l’espace pour valoriser les complémentarités entre espèces d’élevage, entre types de végétations différents et entre animaux et végétation. Cet agencement va se faire via les pratiques agricoles et les pratiques d’élevage, qui peuvent elles aussi contribuer à créer de la diversité. Pour pouvoir valoriser durablement cette diversité, il va falloir bien évidemment veiller à la préserver sur le long terme. La biodiversité va aider à gérer les aléas climatiques sur le court terme et à s’adapter au changement climatique sur le long terme en préservant notamment les moyens génétiques de l’adaptation.

23.42

Prenons un exemple, issu du pastoralisme. Au sein des végétations naturelles, l’éleveur ou le berger peut identifier une grande diversité de plantes ou parties de plante d’intérêt pour l’alimentation de son troupeau. Selon la répartition spatiale de ces plantes, et selon leur évolution saisonnière, il pourra définir des « secteurs » de pâturage et les caractériser en termes d’offre alimentaire pour le troupeau. L’offre présente sur chacun de ces secteurs évoluera au fil des semaines, en fonction de la météo mais aussi de l’utilisation plus ou moins poussée par le troupeau. Chaque jour, le berger va accompagner son troupeau sur un circuit de pâturage qui l’amènera successivement sur des secteurs complémentaires entre eux. Cela permettra d’une part de bien répondre à la diversité des besoins du troupeau mais aussi de stimuler l’ingestion par le troupeau. Ce circuit pourra aussi être conçu pour valoriser la capacité des animaux à consommer telle ou telle plante, et à faire évoluer la végétation sur le long terme et donc créer de la diversité.  Par exemple, avec l’action du troupeau on pourra essayer de rouvrir, via le pâturage, un secteur trop embroussaillé. Selon la composition du troupeau (par exemple brebis uniquement ou bien brebis et chèvres ; femelles taries ou bien des femelles suitées avec des jeunes), le comportement au pâturage ne sera pas le même et le berger pourra en tenir compte pour ajuster sa conduite. L’association d’ovins, qui sont plutôt des brouteurs « tête basse » et de caprins, qui mangent plutôt « tête haute » plus de feuillages permettra de mieux valoriser la diversité des ressources dans un parcours embroussaillé ou boisé. La présence des jeunes à côté de leur mère favorisera leurs apprentissages et le développement de leurs compétences animales associées au type de milieu.

25.38 : Un dernier point clé, qui relève plutôt de la conception de l’agriculture ou de l’élevage, consiste à accepter de « laisser faire la nature ». Attention !  il ne s’agit pas d’oublier ses cultures ou ses animaux, mais plutôt de créer des conditions favorables à l’auto-régulation et à l’adaptation des animaux et des végétations. Donc « laisser faire » ce n’est absolument pas « rien faire ». Ceci suppose de PREPARER son système, donc de choisir des animaux adaptés aux conditions locales, de développer leurs compétences en les exposant tôt et en compagnie d’individus expérimentés à la diversité des conditions d’élevage auxquels ils seront soumis à l’âge adulte. En termes de conduite, il s’agit aussi d’anticiper des sécurités, autrement dit des conduites alternatives en cas d’aléa. Ensuite, il convient de SURVEILLER constamment l’état des animaux et des surfaces pour identifier quand intervenir. Si on intervient, essayer de le faire en stimulant les capacités d’adaptation des animaux et des plantes plutôt qu’en les supplantant. Cette surveillance permet d’intervenir suffisamment en amont pour pouvoir simplement ré-agencer le système et le laisser s’auto-réguler. En cas d’intervention tardive, ou pour des aléas marqués, il peut devenir nécessaire de recourir à des intrants (aliments achetés, médicaments, autres).

27.05 : Par exemple, pour limiter les besoins de complémentation et les risques sanitaires dans un troupeau bovin allaitant on peut choisir une race locale adaptée au milieu, favoriser l’allaitement et les contacts mère-jeune pour développer une bonne immunité, élever le troupeau dans un espace diversifié (par exemple en extérieur avec des zones ouvertes et des zones abritées, des zones plus sèches pour ne pas s’embourber ou plus humides où l’herbe restera verte en cas de chaleur , …) et suffisamment vaste pour que les animaux puissent adapter leurs comportements. En surveillant l’état général des animaux, dès la première suspicion il sera possible d’intervenir en modifiant l’environnement ou l’alimentation. Ce faisant, on réduit le recours aux intrants, mais on développe aussi des compétences nouvelles à la fois chez les animaux et chez les éleveurs. Ils vont adopter peu à peu une autre façon de travailler mais aussi un rapport différent aux animaux et à la nature.

28.05 : Au total, à l’échelle de l’exploitation, il s’agit de concevoir des systèmes d’élevage adaptés à leur environnement mais aussi adaptables. Pour ce faire, on va adapter les objectifs de production au contexte local. On va introduire de la diversité dans le système en mobilisant autant que possible  tout ce qui est naturellement présent dans l’agroécosystème. On va également agencé les interactions entre les animaux d’élevage et leur milieu en valorisation la biodiversité et en pensant non pas une seule production mais à la diversité des biens et services que l’agroécosystème peut fournir. On va aussi miser sur l’autonomie et l’adaptation des animaux et favoriser les interactions directes entre l’animal et son milieu. Ce milieu on pourra l’aménager et intervenir de manière stratégique pour faciliter les processus naturel plutôt que de penser à les remplacer. On va devoir également planifier les sécurités et observer l’état du système pour pouvoir enclencher ces sécurités et implémenter une conduite adaptative. In fine, on va se retrouver à gérer le temps court du cycle de production mais en pensant aussi au temps long de l’adaptation des composantes biologiques à la fois animale et végétale et du renouvèlement de la biodiversité à la fois animale et végétale.

29.26 : Pour mettre en œuvre cela, différents points clé sont à considérer :
– tout d’abord, la formation des éleveurs, qui fait également intervenir les échanges entre pairs (via forums, associations, CIVAM, GIEE, etc.) ;
– ensuite, il faut réaliser un changement d’approche dans l’enseignement et le conseil en élevage. En effet, jusqu’à récemment il est fortement marqué par une logique d’optimisation du modèle conventionnel ;
– bien sûr il est important de faire évoluer la politique agricole commune pour encourager, en particulier, le multi-usage des espaces et la mise en valeur de la biodiversité « agricole ».

30.00 : Le changement de logique d’élevage implique aussi une réflexion sur les filières et les modalités de commercialisation et plus généralement sur la place des collectifs en agriculture et en élevage.
Deux types de collectifs méritent à mon sens une attention particulière :
– d’une part, les collectifs multi-acteurs qui sont nécessaires pour articuler de manière synergique différentes activités entre elles à l’échelle d’un territoire ;
– d’autre part, les collectifs « solidaires » entre acteurs qui ont les mêmes rôles, qui peuvent fournir une forme d’assurance et d’entraide entre pairs en cas d’aléa.

 

30.37 : On a vu que l’approche agroécologique était multifacteurs et donc extrêmement complexe. Est-ce bien réaliste de vouloir tout changer ? Comment arriver à cela ?

Bien évidemment, le tableau que je vous peins là correspond à une logique 100% agroécologique et ce dans toutes les dimensions de la démarche. Bien évidemment tous les élevages ne peuvent et ne souhaitent pas forcément mettre en place tout cela, et ce d’autant plus qu’il n’est pas possible de garantir à l’avance le gain de performance globale du système associé au changement. Comme on l’a vu tout à l’heure le changement de pratique dépend beaucoup du contexte local.  On peut par contre tout à fait agir simplement en s’inspirant de l’agroécologie pour introduire un peu de diversité et favoriser les recyclages. Cela coûte en général peu d’efforts et peut déjà apporter des améliorations sensibles en lien avec le changement climatique.
Par exemples :
– dans un élevage intensif et hors sol, il est possible d’introduire de la diversité génétique et de créer un réseau de valorisation des déchets/sous-produits avec d’autres entreprises locales. On n’est pas encore dans l’agroécologie car on est hors sol mais au moins on recycle.
– dans un élevage herbager qui ne comporterait que des prairies on peut introduire des arbres et des haies qui vont fournir de l’ombre aux animaux mais aussi des feuillages qui restent verts en cas de sécheresse. En cas de très mauvaise année fourragère, on peut aussi envisager une mobilité du troupeau (même pour des troupeaux qui d’habitude ne transhument pas) ou des accords avec des agriculteurs voisins pour des échanges de biens ou de services.

32.42 : Quel que soit le type d’élevage, ce qui est important c’est l’anticipation des risques et la planification de sécurités (= conduites alternatives). Ces sécurités peuvent être construites de préférence en valorisant la diversité des ressources locales et en s’appuyant sur la force des collectifs (existants ou en construction). Peu à peu des changements se font sentir dans le monde de l’élevage, dans la formation, dans le conseil.  Il est aujourd’hui tout à fait possible d’être formé ou accompagné vers une transition agroécologique. De même, les politiques agricoles actuelles ont tendance à encourager la biodiversité et la constitution de collectifs d’acteurs, même si le multi-usage des surfaces est encore peu pris en compte par la PAC. Donc il y a de l’espoir.

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