Collectif et parcours de vie de jeunes agriculteurs bio

Film réalisé par le CFPPA de Coutances sur des jeunes agriculteurs installés en bio. Près de 10 ans après leurs installations... quels enseignements tirent ces sept jeunes agriculteurs de leurs parcours ?

2.47 – Annick Briand et Thibault Champin, maraichers bio à Lingreville.
« A l’origine, on avait vraiment envie de créer notre projet. C’était vraiment un projet de vie. J’étais infirmière. On a pensé que le maraichage était le plus accessible des métiers de l’agriculture sauf que c’était pas aussi simple que ce qu’on avait imaginé au départ…

3.56 : Wilfried Leger, Eleveur porcin bio à Hudimesnil
Je suis fils d’agriculteurs conventionnels qui se pose des questions sur l’environnement à suivre des études sur l’environnement et à continuer vers du développement local avec des profs gauchos qui ne parlent que de « changement de monde », d’alternatives, de confédération paysanne. Au bout de dix mois j’ai décidé d’arrêter parce que la rencontre avec des porteurs de projets atypiques m’avait vraiment donné envie de passer de l’autre côté. L’installation en agriculture ça répond à une envie de mode de vie plus qu’à une volonté pure de faire de l’agricole. La recherche d’autonomisation, d’acquisition de savoir-faire, la logique qu’on voulait pour nos vies avec Lucie nous a amené rapidement à réfléchir à l’activité agricole. On a suivi beaucoup de stages pour savoir dans quelle direction, quel type de production j’allais m’orienter. Parce qu’à la base je ne savais pas trop si j’allais faire du maraichage, du pain, de l’élevage. Tout ça pour me rendre compte que je suis revenu à faire les mêmes productions que ce que j’avais connu dans l’exploitation familiale de mon enfance. »

5.34 : Tanguy Le Roland, Paysan boulanger à Hudimesnil.
Avant j’étais dans l’humanitaire, spécialisé en eau potable et assainissement. Je ne sais pas vraiment comment j’en suis arrivé à me dire que Paysan boulanger que c’était ce qui fallait que je fasse. Peut être que j’en ai entendu parlé, je n’arrive pas à me souvenir quand a eu lieu le déclic. Je suis arrivé avec une dizaine de personnes avec des projets agricoles un peu flous. En trois jours on a posé des chiffres, on allait faire des enquêtes sur le terrain. J’ai fait une petite étude de marché. C’était très intéressant et ça a posé les bases du projet. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose de possible. Après j’ai tiré le fil.

6.38 : Pierre Allain, Eleveur fromager bio à Montpinchon
Quand vous êtes du milieu agricole c’est la question que tout le monde vous pose depuis votre enfance surtout si vous êtes le seul fils : « Alors, reprendras-tu la ferme ? »
Donc vous vous la posez forcément. Mon père est passé en bio fin des années 90. Et de ce fait ça commençait à m’intéresser parce qu’il y avait cette notion de « qualité » et puis de « nature ». En parallèle de cette transition bio de la ferme je faisais mon cheminement et j’ai décidé en deuxième année d’aller faire mon stage dans une ferme biodynamique aux Etats-Unis. Je me suis vraiment fait plaisir lors de ces deux mois là-bas. Je n’ai pas forcément réfléchi à l’avenir mais je me suis dit qu’il y avait quelque chose en agriculture qui me plait.

8.05 : Tanguy Le Roland, Paysan boulanger à Hudimesnil.
Me retrouver au marché au bout de 6 ans d’activité je me dis que j’ai vraiment choisi la bonne voie. C’est cohérent avec ce que j’avais au fond de moi. On est comme tout le monde, on a un parcours, on essaie de choses, ça ne va pas. Par exemple avant je ne travaillais pas avec mes mains et ne me suis rendu compte que j’étais un travailleur manuel très très tard. Je me dis parfois que c’est difficile mais en même temps je me dis que je ne peux pas rêver mieux. Un paysan boulanger va du grain au pain, la boucle est bouclée. C’est de l’autonomie à 100% et ça a du sens.

9.18 : Wilfried Leger, Eleveur porcin bio à Hudimesnil
J’avais envie de grand air. Avoir un projet qui se structure autour du plein air. Je pense que c’est aussi un petit pied de nez à la ferme de mes parents. Au fond de moi, avec un petit peu de recul, j’avais peut être envie de prouver à mon père et à mon oncle qu’on pouvait faire les mêmes productions qu’eux mais dans un registre complètement différent. C’était aussi pour être en accord avec les convictions, les idéaux que j’avais en moi. J’ai toujours arrêté le nombre de cochons à la production céréalière que je pouvais faire et j’ai toujours refusé des clients. Je suis plutôt dans la logique de faire installer des jeunes pas loin avec les mêmes productions pour pouvoir fournir cette clientèle.

10.34 : Annick Briand et Thibault Champin, maraichers bio à Lingreville.
Il a fallu tout créer : serres, irrigation, clientèle, out le matériel. C’est vraiment une création de toute pièce. C’est vrai que c’est puissant comme métier. C’est passionnant mais ça prend tellement de temps. Je me suis installée sans avoir conscience de ce qu’était le maraichage… Je m’en rends compte maintenant. Et je pense que si je l’avais su je l’aurais fait. En fait je ne sais pas. Cette question… je ne sais pas y répondre. Parce que quand j’arrive dans les serres de tomates, je suis bien. C’est un travail où on est tout de même posé. Il y a du stress mais ce n’est pas si grave que ça. J’étais infirmière, je sais ce que c’est que le stress et jamais je n’ai ressenti ça dans le maraichage, à aucun moment.

11.48 : La charge de remboursement, si on pouvait la transférer vers du salariat, ça nous dégagerait un peu de temps.

12.00 : Il y a énormément d’inertie dans ce métier : tu rates ton semis, c’est rendez-vous l’année prochaine ! Tu ne peux pas rattraper, c’est juste pas possible. Un menuisier rate son meuble il le recommence.

12.21 : La découverte avec le monde du travail tu te rends surtout compte qu’il faut juste bouffer. Donc la plupart des gens ils sont juste là pour bouffer. On a tous des emprunts sur le dos, des maisons à rembourser et des enfants à faire manger. Tu sors de l’idéalisme des études et des belles petites idées et tu te confrontes à la réalité de la vie telle qu’elle est. Quand on prend des risques et qu’on sort des sentiers battus et qu’on est sur des troupeaux de 60-70 bêtes, quand il y a de la casse… ça fait très mal. Parce que c’est vous qui avait choisi de sortir des sentiers battus et vous êtes tout seul fasse à la bête crevée.

13.00 : En gros au bout de 5 ans tu sais que tu ne sais rien par contre tu sais où tu veux aller.  C’est ma première saison de vêlage. On en fait 70 en trois mois et je n’ai pas perdu une vache. Et ça ça me met la pêche et ça me conforte nettement dans mes convictions.

13.19 : Le blé je le sème à l’automne, je le récolte à l’été qui suit. Si j’ai fait une erreur je relativise… j’ai 20 jusqu’à la retraite, 20 semis… C’est un métier qui englobe trois métiers (paysan, meunier, boulanger) avec une progression a avoir sur l’ensemble de ces trois métiers mais on peut s’y perdre. Car rien que sur un métier on peut y passer une vie.

14.06 : J’ai monté l’activité de boulanger de façon assez progressive. Entre ce que j’imaginais au début (l’autonomie en céréale) mais pour le moment je n’y suis pas. On fait les choses petit à petit. Passer du temps quand on peut. Il est vrai qu’on est toujours impatient de s’installer mais je pense qu’il faut préparer, rencontrer des gens avant, faire des stages, mettre la main à la pâte dans pas mal d’endroits différents.

15.00 : Annick Briand et Thibault Champin, maraichers bio à Lingreville.
On a passé énormément de temps à réfléchir au projet. C’était hyper motivant et ça le reste.

15.15 : Annick Briand et Thibault Champin, maraichers bio à Lingreville.
On a créé un collectif pour mettre en commun nos moyens jusqu’à un projet de mutualisation : faire les légumes ensemble et se partager la production pour alimenter les paniers. On avait envie de nous inscrire dans le projet de la commune qui était en déclin. Le but était de rebooster tout ça. Une ferme c’est un univers qui peut être vite totalement fermé et c’est important de s’ouvrir grâce à des projets.

16.04 : Il ne faut pas rester seul dans son projet. Il faut absolument se nourrir de l’extérieur pour enrichir et baliser ses pas parce que quand on est dans des systèmes un peu pionniers on peut vite se brûler les pattes quand on est seul. Avoir des gens autour qui ne sont pas forcément beaucoup plus mûrs mais qui ont des expériences différentes et qui vont vous rabattre de l’info c’est très important.

16.25 : Je ne suis pas un grand mécano, quand j’ai des soucis je peux en parler aux autres. Pour l’agronomie c’est pareil. Le fait d’être ensemble c’est très important. On s’entre-aide, se conseille.

17.14 : Il faut faire avec les envies des autres, les caractères des autres. Notre collectif ce n’est pas toujours très facile mais en même temps ça oblige à être un peu humbles, à écouter, … donc humainement ça oblige à bouger dans ses propres lignes, de se remettre aussi en question. C’est très intéressant à tout point de vue.

18.00 : L’accès au foncier c’est compliqué. Il faut reprendre des fermes plus importante et les re-dispatcher à plusieurs. Et surtout il faut recréer du social et de la vie dans nos campagnes. Si toutes les fermes s’arrêtent, il n’y aura plus d’enfants dans les écoles, plus de commerces, plus d’artisans.

18.40 : Il faut accepter de payer l’alimentation un peu plus cher. L’autre jour j’ai passé plus d’un jour à entretenir une haie pour la biodiversité. C’est du temps de travail or ma rémunération passe par la vente de mon pain.

18.55 : Je me suis retrouvé à courir après mon troupeau qui était sur la route à 3 heures du matin. C’est vivant ! Les gens n’acceptent plus ça.

19.12 : On est dans des zones en monoculture. Si tu parles aux gens ils ne veulent pas aller en vacances dans des endroits comme ça.

19.39 : Pierre Allain, Eleveur fromager bio à Montpinchon
Je commence à avoir plus de temps parce que le système commence à rouler. Je me dis qu’il ne faut pas laisser passer ces années-là car ce sont des années vraiment formidables. C’est un des gros atouts des systèmes familiaux de pouvoir profiter avec ses enfants de la nature, des bêtes et de ce mode de vie.

21.10 : Nos enfants sont dans la nature, ils entendent parler de biodiversité. J’aime mon métier. J’aimerais juste avoir plus de temps à l’intérieur. Je pense que des petits modèles comme les nôtres ne sont pas forcément la réponse mais ce seront peut être les formes collectives qui se développeront. L’idée de la mutualisation, du collectif, elle est partie aussi de là. C’est la même chose pour le GFA : les freins à l’installation c’est le foncier : comment on fait pour régler ce problème. On est 115 sociétaires dans le GFA.

22.04 : L’idée c’est de pouvoir acquérir des terrains et les conserver pour l’agriculture et non qu’ils disparaissent en construction.

22.31 : Annick Briand et Thibault Champin, maraichers bio à Lingreville.
Quasiment tous les rêves du début se sont réalisés.

22.36 : La ferme c’est une entreprise aussi. Et on est des entrepreneurs quelque part. Il y a un sens noble de l’entrepreneuriat c’est justement celui de prendre des risques et à pousser les lignes. Les hors cadres familiaux, ils prennent des risques, c’est raide mais c’est bon. Parce que quand on réussit, la réussite a un goût unique.

23.24 : Tu peux dire que tes convictions ont trouvé leur place dans ton mode de vie ?
Pierre Allain, Eleveur fromager bio à Montpinchon :
Les convictions m’ont beaucoup porté à l’installation jusqu’au moment où tu sais que tu ne sais rien. Il faut les mettre en face de la réalité, les convictions. Sinon pour moi elles ne valent rien. Je ne parle pas des convictions environnementales parce que c’est ce qui me fonde profondément : l’agriculture biologique, le respect de la vie. Cela ne change pas, c’est quelque chose qui t’anime.

23.56 : Tanguy Le Roland, Paysan boulanger à Hudimesnil.
Cela m’a renforcé dans mes convictions de quelle société on veut avec une activité qui construit cette société. On a la vision d’un truc qui parait pas très compliqué à faire, pourquoi on n’a pas plus d’aide et d’appui politique plus important là dessus ? J’ai du mal à comprendre ça en fait.

24.22 : Wilfried Leger, Eleveur porcin bio à Hudimesnil
On est arrivé avec une étiquette de petits jeunes néo-paysans. Il fallait qu’on fasse nos preuves devant une partie du monde rural et du monde agricole local.  On est là dix ans plus tard ça montre bien qu’on est un des rouages de la société et on ne peut pas se mettre à côté de ce qui se passe parce qu’on est dedans.  Chaque apprenant qui arrive dans la ferme participe de l’échange de savoirs. Soit ce sont des enfants d’agriculteurs soit ce sont des gens qui sont passés sur d’autres fermes. On a à apprendre de tout le monde. Parfois les réflexions de gens qui n’y connaissent rien à l’agriculture peuvent nous faire beaucoup avancer parce qu’ils mettent l’accent sur quelque chose auquel on n’aurait pas pensé. Et c’est très enrichissant.

25.20 : Wilfried Leger, Eleveur porcin bio à Hudimesnil
Il y a dix ans quand je me suis installé il était inconcevable de ne pas faire 100% de ventes locales. A l’heure actuelle je dois être à plus de 30% de produits vendus en région parisienne.

25.34 : Tanguy Le Roland, Paysan boulanger à Hudimesnil.
Il y a beaucoup de gens qui me disent que mon pain est super bon. Ce sont tous les choix en amont (blé d’ici) qui en font la valeur. Mais je sais que je ne peux pas faire un marché avec un pain.

26.26 : La base d’une installation ou d’une activité ou d’un mode de vie c’est de mettre en pratique un rêve, un choix de vie et pas s’engouffrer dans ce que veulent les clients, dans la ferme idéale parce que ça n’existe pas, se faire bouffer par son projet. Il ne faut pas s’oublier.

27.08 : Pierre Allain, Eleveur fromager bio à Montpinchon
Si c’était à refaire… évidemment  ! Parce que ça m’a fondé ! Cela me fonde. Je ne peux pas ne pas le refaire.

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