Question : L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) est très utilisée en industrie, est-ce une méthodologie transférable à l’élevage ?
Il est vrai que lorsqu’on produit un bien, on extrait du minerai quelque part, on fabrique et on recycle. L’agriculture c’est plus complexe que cela. Appliquer l’Analyse du Cycle de Vie à l’agriculture est intéressant. Cette méthode soulève des choses comme par exemple que l’élevage émet des gaz à effet de serre et qu’il faut le prendre en compte. Cela dit ce n’est pas suffisant.
1.38 : Toutes les ACV ont montré les impacts très élevés de l’élevage.
Le schéma publié dans Nature montre que la viande bovine émet plus de Gaz à Effet de Serre (GES) par kilogramme de protéine que si on mangeait du tofu ou des noisettes. Pour autant on ne va pas changer notre steak pour des noisettes ça ne va pas équilibrer notre régime.
2.07 : On voit que l’ACV donne une indication : la viande a un impact plus important en terme de GES donc il faut essayer de réduire. Les impacts des animaux sont toujours beaucoup plus élevés que les végétaux et c’est normal puisque les animaux sont des transformateurs secondaires de la biomasse. On ajoute un élément dans la chaîne trophique donc c’est globalement moins efficace. Il faut y faire attention mais pour autant cela reste une analyse un peu simpliste des choses.
2.42
2.48 : L’ACV ne prend absolument pas en compte la dimension multifactorielle des systèmes agroécologiques d’où tout le débat sur l’étiquetage environnemental qui est basé sur l’ACV et qui dit qu’il y a plus d’émission de GES par viande de porc produit en système bio que de kilogramme de porc produit en conventionnel. Est-ce que pour autant il faut arrêter le bio ? Non c’est juste que l’ACV ne nous donne pas la vision de l’ensemble des choses. Comme pour l’industrie, on part de notre agroécosystème (plante ou animal ou les deux), on fabrique de l’aliment et notre système ne sert qu’à ça et on regarde l’empreinte environnemental de cette chaine. En fait l’agriculture a quelque chose de plus. Les systèmes agricoles, surtout s’ils sont agroécologiques, contribuent à entretenir le sol, à la biodiversité et au stockage de carbone et ce n’est absolument pas pris en compte dans l’ACV. Cela veut dire que l’ACV ne prend pas en compte des critères de durabilité qui sont pourtant importants pour le long terme. Si on érode les sols, si les sols ne sont plus fertiles, si on n’a plus de biodiversité, les systèmes agricoles ne seront plus durables. Et ce n’est absolument pas intégré dans l’ACV qui considère qu’une émission instantanée de GES ou d’azote par les animaux pour des questions d’eutrophisation ou d’acidification.
4.35 : Donc l’ACV telle qu’elle est conçue aujourd’hui donne un avantage indéniable aux systèmes spécialisés intensifs. Il suffirait de dire qu’on va pondérer les valeurs sur ce qui va servir à faire de l’aliment, à faire de la biodiversité, du stockage de carbone. Par exemple pour la viande bovine produite sur des systèmes herbagés, tous les impacts GES ne doivent pas être mis sur la viande, ils doivent être compensés par les services rendus au territoire.
5.18 : L’ACV est une approche très linéaire des choses. Et on n’intègre pas les performances d’élevage dont on vient de parler. Elle n’intègre pas que l’élevage recycle dans la chaine alimentaire des biomasses qui ne sont pas consommables par l’homme. Dans l’ACV, un hectare est un hectare. Si c’est un hectare non labourable il ne faut pas le compter de la même façon qu’un hectare labourable. On voit aujourd’hui que l’empreinte surface des bovins par exemple est très importante au même titre que l’empreinte GES alors que ce mode de calcul valorise des surfaces sur lesquelles on ne peut rien faire d’autre.
6.00 : Voilà des cas très concrets qui se posent pour évaluer les systèmes qui ne sont aujourd’hui pas pris en compte par l’ACV. Cela veut dire que cette méthode n’est pas suffisamment adaptée au système agricole.
6.12
6.23 : Un autre problème c’est que l’allocation de GES d’un animal se fait sur une base économique. L’impact d’un bovin est ramené à sa viande uniquement alors que si on faisait des allocations biophysiques (intégrant par exemple qu’une partie de la carcasse sert à faire du petfood, du cuir, …) on n’aurait que 50 % des GES rapportés à la viande. Cela changerait complètement l’empreinte environnementale de notre viande.
7.09
7.27 : Certains travaux commencent à proposer une valorisation nutritionnelle réelle et non une simple quantification en kilo de matière.
Autre question importante : lorsqu’on compare 100 gr de viande, 100gr de lait, 100 gr de noisette, est-ce que ça a du sens ?
7.27 : Certains travaux commencent à proposer une valorisation des émissions d’eutrophisation, l’acidification non pas par kilogramme de produit mais par quelque chose qui traduit la valeur nutritionnelle réelle de ce produit. Le premier niveau pourrait consister à remplacer les kilogramme par des kilo calories (graphique de gauche). Lorsque vous regardez ce graphique, vous voyez que le lait émet beaucoup plus de GES que les fruits (2-3 fois plus). Mais si on ramène ça à l’énergie, le lait émet moins que les fruits & légumes. Même chose si on regarde les porcs par rapport aux fruits et légumes. Par contre la viande émet toujours plus mais vous voyez que l’écart entre fruits et légumes et viande est beaucoup plus faible si on ramène ça à l’énergie que si on ramène ça au kilogramme. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut plus manger de fruits ni de viande. C’est juste pour dire que l’échelle relative des choses change.
8.36 : Il y a des chercheurs qui sont allés beaucoup plus loin et qui ont exprimé les émissions non plus par kilogrammes de produit ni même par kcalorie mais par un index de nutrition qui traduit la somme des nutriments apportés par 100 grammes du produits par rapport aux besoins nutritionnels de l’homme. Il est évident que quand on mange 100 grammes de bœuf ou de fromage on n’a pas la même quantité de nutriments que quand on mange 100 grammes de carottes. Les carottes apportent des fibres mais n’apportent pas beaucoup de protéines, de fer,…
9.20 : Graphique de droite : en bleu foncé ce sont les valeurs ramenées au kilogramme de produit et en bleu clair c’est ramené à cet index de nutrition. Prenons le cas de la viande de bœuf qui est beaucoup plus impactante que le riz poli par kilogramme mais si vous regardez en terme de nutriments et bien ce sont les mêmes valeurs. Le fromage par exemple est très peu impactant quand on prend en compte tout ce qu’il apporte en terme de nutriments pour couvrir nos besoins nutritionnels. Par contre la banane, qui est un aliment peu impactant quand on raisonne au kilogramme, elle n’apporte que peu de nutriment.
10.21 : C’est une autre question de l’ACV : sur quelle base comparer les produits : sur des kilogrammes, sur des hectares ou sur des valeurs nutritionnelles ? Actuellement il y a tout un chantier qui se lance au niveau de la FAO pour re-réfléchir à ça. Ce qui veut dire que dans quelques années peut être on aura d’autres évaluations qui seront sur d’autres critères.
10.55 : Quelles seraient les « logiques » d’un élevage plus durable ?
On l’a déjà en filigramme : réduire les pesticides, réduire l’utilisation des antibiotiques, développer le bio.
Concrètement comment le faire ?
11.20 : Il faut remonter un peu dans l’histoire pour voir finalement où il faut aujourd’hui infléchir ce qui s’est fait.
Depuis les années 50-60 jusque dans les années 90, le mot d’ordre était « produire, produire, produire ». Pour l’élevage ça s’est traduit par l’utilisation des cultures et des prairies pour faire du lait, de la viande et des œufs. Les systèmes se sont intensifiés fortement. Ils se sont aussi spécialisés et ils sont devenus séparés géographiquement. Cela veut dire que d’un côté on fait de l’élevage et de l’autre on fait des cultures. En France, si on veut être caricatural, on fait du lait et des cochons dans l’ouest et on fait des céréales dans le grand bassin parisien. Cela crée des problèmes qui sont apparus avec le temps : pour l’élevage ce sont les pollutions locales (algues vertes), les émissions de GES, les questions de bien être animal, c’est l’utilisation d’antibiotiques. Du côté des cultures, on a simplifié les rotations. Aujourd’hui la culture représente 80 % ou 70 % des sols cultivés en France. L’azote minérale qui est utilisée en quantité très importante puisqu’elles se font dans des zones où il n’y a plus d’élevage. Les pesticides qui se sont développés du fait de la simplification des rotations.
13.02 : Tout cela a conduit à des gains énormes de productivité.
Tous les ans depuis 30 ans on gagne génétiquement 100 kg de lait par vache. L’indice de consommation des volailles n’a fait que baisser depuis les années 70 et ça a continué jusqu’à maintenant. L’indice de consommation des porcs c’est pareil. Et le poids vif des animaux allaitant n’a fait qu’augmenter. Par contre on a fait cette production sans jamais se soucier des volumes et des niveaux de ressources qu’on utilisait. Au bout du compte on a dégradé les écosystèmes, on a perdu de la fertilité des sols. On a perdu de la biodiversité et ce qui est plus grave pour c’est nous c’est qu’aujourd’hui l’élevage a perdu sa légitimité au moins pour une partie de la société. Et notre société appelle pour un changement très profond des modèles agricoles et je pense que ça dépasse l’élevage. Il faut changer de paradigme pour penser le futur de l’élevage.
14.11
Le futur de l’élevage il doit vraiment se penser dans le cadre d’une conversion complète du secteur agricole qui nécessite de repenser tous ces aspects. L’élevage doit être mis comme un des éléments centraux et indispensables d’une agriculture qui relie beaucoup plus que par le passé les productions végétales, l’élevage et le sol. Le tout pour faire de l’aliment pour nous nourrir tout en restant dans le cercle (voir schéma ci-dessus) qui permet de lutter contre le réchauffement climatique, d’éviter les pertes de biodiversité, de gérer les cycles de carbone et de l’azote, de limiter la consommation d’eau, etc…
15.08 : L’entrée dans ces nouveaux systèmes agricoles ne doit plus trop être par les énergies fossiles (pétrole, engrais azotés, pesticides) mais par de la photosynthèse essentiellement et puis par la fixation symbiotique par des légumineuses. L’élevage dans ce cadre-là, il est fait pour utiliser les co-produits des filières végétales. Il va permettre de faire de la diversification des rotations. Ses effluents doivent permettre de « nourrir » le sol qui en retour permettra de faire des productions végétales plus durables. C’est cette circularité-là qu’il faut repenser.
16. 02
Mais cette « refonte » ne se fera pas sans faire évoluer l’élevage. Et l’élevage doit évoluer sur quatre piliers (détaillés à l’oral).
17.42 : Les bénéfices escomptés
19.21 : Les grandes difficultés derrière tous ces bénéfices escomptés :
Un des grands enjeux c’est une nouvelle organisation. Il ne faut plus raisonner par filière mais par territoire. Cela veut dire que les filières doivent beaucoup plus interagir. Donc un changement de gouvernance assez fondamental. Un virage très difficile à négocier. Comment rompre ces freins socio-techniques ? Comment explorer de nouveaux business models ? Quelle politique publique pour aider à ces changements et à ces transitions ?
20.34
- Continuer à travailler sur l’efficience des ressources mais dans un contexte très différent.
- Substituer des ressources qui ont un fort impact sur l’environnement par des ressources qui ont un impact plus faible.
- Exploiter les synergies liées à la circularité.
21.13 :
Sur l’accroissement de l’efficience de l’élevage, il s’agit d’abord d’avoir des animaux plus efficients et plus robustes. Mais contrairement au passé où on avait des animaux de plus en plus productifs grâce à la génétique et on cherchait toujours à les nourrir au mieux en travaillant sur des aliments de meilleure qualité aujourd’hui ça va être de sélectionner des animaux qui sont les plus efficients mais dans un contexte où l’animal ne mangera pas forcément quelque chose de qualité très très bonne mais ils vont permettre de valoriser des sous-produits, des biomasses diverses et variées.
21.43 : Innover dans les modes d’élevage (élevage de précision). Faire des prouesses sur les technologies de transformation des végétaux. Si on a des biomasses plus cellulosique pour nourrir les animaux rien n’empêche de faire des traitements en amont de l’élevage pour les rendre plus digestibles et de meilleure qualité. C’est la gestion intégrée et préventive de la santé et du bien être des animaux pour réduire l’usage des antibiotiques.
22.27 Sur le volet substitution. Il s’agit de remplacer les engrais minéraux ou les réduire par l’utilisation des légumineuses d’une part et par une utilisation beaucoup plus efficace et pertinente des effluents d’élevage.
22.48 Travailler sur des substituts aux anti-microbiens qui sont soit des vaccins et/ou des composés secondaires qu’on pourrait extraire des plantes et qui pourraient servir à soigner les animaux. On a déjà des exemples mais il s’agit d’intensifier cette voie là.
23.08 : Développer des énergies renouvelables en remplacement du pétrole par la méthanisation des effluents d’élevage.
23.16
Sur les synergies, il s’agit d’utiliser l’aptitude des animaux à consommer une très grande diversité de végétaux et de biomasse. C’est un point vraiment fondamental. C’est aussi la gestion agronomique et technologique des effluents d’élevage. Comment retrouver de nouveaux équilibres entre des territoires où on a trop d’effluents et des territoires où ça serait bien d’en avoir un peu. C’est peut être de redéployer de l’élevage dans des régions.
23.53 : On pourrait avoir la question : Et si on faisait la même quantité d’élevage qu’aujourd’hui mais répartie différemment sur le territoire ?
Le stockage de carbone dans les sols. Créer de nouveaux business models pour réussir ces transitions.
24.46 : Certes l’élevage comporte des problèmes mais l’élevage en soi est porteur de solutions.
25.06 : Les émissions de GES. Faut-il reconsidérer le rôle du méthane ?
Le rôle du méthane est de réchauffer le climat mais c’est vraiment compliqué. Pour raisonner les émissions de GES des secteurs économiques, on fait des calculs sur la base des équivalents CO2.
Pour ces équivalents CO2, on calcule un pouvoir réchauffant à cent ans.
Le pouvoir réchauffant à cent ans du gaz carbonique a été fixé à 1 pour le méthane (ça évolue avec le temps), il était de 25 il y a quelques années, il est aujourd’hui le GIEC dit qu’il est de 28 (donc 28 fois plus puissant que le CO2 d’où les débats autour du méthane).
Le pouvoir réchauffant à cent ans du protoxyde d’azote est de 250.
Ce calcul a le mérite de la simplicité mais en fait on a perdu de vue deux réalités physiques. On met sur un même plan tous les Gaz à Effet de Serre et ça c’est une véritable question. Sur le schéma ci-dessus le cas du méthane des ruminants. Certes les ruminants digèrent de la cellulose. C’est d’ailleurs des animaux merveilleux car contrairement à nous ils sont capables de faire du lait et de la viande à partir de la cellulose. Je rappelle que la cellulose c’est le glucide le plus abondant sur terre produit par la photosynthèse. S’il n’y avait pas de ruminants, la première question : que ferait-on de toute cette cellulose ? Mais évidemment il émet du méthane. Ce méthane est assez vite oxydé dans l’atmosphère par des réactions photochimiques pour redonner du CO2. La durée de vie du méthane dans l’atmosphère c’est 10-12 ans. Donc on voit que pour raisonner un réchauffement à 100 ans on a déjà cette question-là qui se pose. Ce CO2 qui provient du méthane il va resservir à la photosynthèse par la plante qui va être mangée par l’animal. Quelque part on peut imaginer qu’on un cycle de carbone biogénique (CO2 – Méthane – CO2 – photosynthèse – digestion – Méthane …). Ce méthane-là est tout de même assez différent du méthane ou des gaz à effet de serre qui provient de notre système industriel (droite de la diapositive) où on déstocke du carbone fossile des sous-sols, carbone qui est stocké depuis des millions d’années pour en faire du pétrole. Le pétrole étant utilisé dans l’industrie, dans le logement, le transport, … Le CO2 est un gaz à effet de serre qui reste longtemps dans l’atmosphère : + de 200 ans (vs méthane : 12 ans). Pour le protoxyde d’azote c’est également très long.
28.23 : Le méthane émis par les ruminants il y a 50 ans ne contribue pas au réchauffement climatique d’aujourd’hui. Par contre le méthane ou le gaz carbonique émis par les voitures ou l’industrie il y a 50 ans, il contribue toujours au réchauffement climatique aujourd’hui. C’est toujours quelque chose qui s’accumule dans l’atmosphère. Ce qui n’est pas forcément le cas du carbone des cycles biogéniques. Donc se pose cette question : est-ce que les équivalents CO2 prennent bien en compte cette distinction ? Réponse : non.
29.06 : La question est comment on le prend en compte ?
Cela veut dire que les équivalents CO2 traduisent mal le pouvoir réchauffant du méthane. Le méthane est un GES à courte durée de vie (10-12 ans) vs CO2 et le protoxyde d’azote sont à long terme. A production constante, le méthane se dégrade donc il va plutôt avoir tendance à diminuer dans l’atmosphère. Et donc à émission constante il n’y a pas de réchauffement supplémentaire lié au méthane. La question est de savoir : est-ce que les productions de méthane sont constantes ou pas ?
30.16 : Le pouvoir réchauffant global varie avec l’échelle de temps. Ci-dessous la comparaison des Global Warning Potentiels à 20 ans et 100 ans. CH4 : méthane ; N2O : protoxyde d’azote.
Si on augmente la production de méthane des ruminants, les ruminants vont avoir un pouvoir réchauffant à 20 ans très très importants. Ils vont être beaucoup plus accusés de réchauffement climatique qu’aujourd’hui. Par contre si on réduit la production de méthane des ruminants ils vont avoir un effet de refroidissement relatif.
31.26 : Le GTP est issu des travaux de l’Université d’Oxford qui disent : puisque le gaz à effet de serre reste moins longtemps dans l’atmosphère, il faut calculer le Global Warning Potentiel Star (étoile) qui dit qu’au-delà de l’équivalent CO2, ce qu’il faudra travailler c’est l’effet sur la température. Vous voyez que les émissions de méthane ont des effets sur les températures à 100 ans qui sont très faibles par contre ils ont des effets sur la température à 20 ans élevés.
32.00 : En claire, réduire les productions de méthane par les ruminants aura un effet sur le changement climatique et la température au sens de la COP21 très important par contre si on augmente la production de méthane ça aura un effet très important mais dans le mauvais sens.
32.21
Est-ce qu’on peut faire des efforts pour réduire la production de méthane des ruminants pour avoir un effet à très court terme ?
La réponse est « oui ». C’est à peu prés ce qui se passe en Europe. Le schéma représente l’évolution de la population des bovins en Europe. Cela a diminué et s’est stabilisé depuis les années 2005-2006. Il va falloir poursuivre l’effort sur l’intensité des émissions. La baisse de l’effectif des bovins est quelque chose d’important.
Sur le graphique de droite, on voit l’évolution dans différents pays. Une évolution très forte en Allemagne au moment de la réunification avec la fermeture des troupeaux de l’Allemagne de l’Est. En France une diminution lente et régulière assez constante. Il y a des pays du Royaume Unis où la production a bien diminué. Par contre il y a des pays où ça augmente comme l’Irlande (ils veulent produire du lait donc la population de ruminants augmente). C’est très négatif en terme de réchauffement climatique à court terme. Les Pays Bas ont réaugmenté un peu dans les années 2010 et ça rebaisse un tout petit peu maintenant.
32.43 : On pourrait dire que finalement en Europe, en intégrant ces nouvelles connaissances sur le méthane des ruminants qu’il ne contribue pas ou très peu voire qu’il a un effet refroidissant relatif via ses émissions de méthane. Mais ce n’est pas vrai pour tous les pays. Par contre, et c’est peut être là qu’est le problème majeur, les populations mondiales de ruminants augmentent (données de la FAO) et vous voyez que ça continue d’augmenter en 2000 et 2019. Il est vrai que du fait du méthane entérique, les ruminants au niveau mondial ont un rôle majeur très important dans le réchauffement climatique surtout à court terme. C’est un enjeux majeur : comment faire pour éviter cette augmentation des populations de ruminants au niveau mondial ? Comme tout à l’heure c’est différent de raisonner monde et de raisonner Europe.
34.54 : Donc vous voyez que ces effets du méthane sont beaucoup plus complexe qu’il n’y parait et beaucoup plus complexe que ce qui est calculé par les équivalents CO2. La FAO est en train de se saisir de ce dossier pour essayer de réfléchir à un nouveau mode de calcul du pouvoir réchauffant des GES issus du secteur agricole (protoxyde d’azote et méthane essentiellement).
35.31 : Quels types d’élevage faut-il favoriser pour rentrer dans ce cadre ?
Il n’y a pas de réponse simple à cette question complexe. Si on en croit les ACV actuelles, contenu du caractère très prégnant du réchauffement climatique, on aurait tendance à dire qu’il faut plutôt faire de la viande avec des monogastriques et moins avec les ruminants. Si on regarde un enjeu « biodiversité, agroécologie, rôle des prairies dans les territoires » on est plus dans les scénarios type de ceux de l’IDDRI donc la recommandation est qu’il faut plutôt des ruminants parce qu’ils entretiennent la biodiversité et comme les monogastriques mangent beaucoup de céréales, c’est eux qu’il faut réduire car ils sont en compétition avec l’alimentation humaine.
36.39 : On voit donc que selon l’angle d’attaque, on peut avoir des réponses différentes mais en fait je vous ai donné deux angles d’attaque qui sont partiels parce qu’il faut à la fois réduire les GES, gérer de la biodiversité, de la vitalité dans les territoires. Et donc, quel types d’élevage privilégier, je dirais « comment optimiser les différents types de production qu’on a de volaille, de porc, de lait puisque chacune de ces grandes filières a ses propres atouts : les monogastriques sont très efficients, les ruminants sont tout à fait capables de manger de l’herbe, les monogastriques dans le cochon, on mange à peu prés tout ce qui n’est pas le cas dans les carcasses de ruminants. Il faut utiliser chacune des espèces dans son rôle optimal ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Donc quel type d’élevage favoriser demain ? C’est comment tirer atouts des différentes espèces animales dans le nouveau contexte.
37.44 : Si on entre dans le détail, il faut utiliser les monogastriques comme des recycleurs de biomasse. Donc il faut se poser des questions sur l’origine des protéines qu’ils mangent. Donc travailler avec beaucoup plus de légumineuses cultivées, beaucoup moins de soja. C’est voir de quelle manière ils peuvent utiliser des protéines alternatives. On parle beaucoup des insectes qui peuvent représenter quelque chose. Est-ce qu’on va être capable de recycler en élevage des nouvelles farines de produits animaux ? On en reparle de les ré-autoriser chez les monogastriques.
38.28 : Les ruminants sont efficaces quand ils mangent de l’herbe. Donc il faut travailler sur des systèmes dans ce sens et qui va à l’encontre des messages d’un certain nombre de filières qui, au nom de la sacro-sainte règle de l’efficacité à court terme des animaux, ont fait du lait avec du maïs ensilage et du soja et pas avec de l’herbe. Alors que le lait à l’herbe est plus efficient globalement. Mais ce n’est pas comme cela qu’on compte. On compte le lait par vache.
39.06 : Dans les bovins viande, il va falloir aussi de races qui soient capables de faire de la viande avec de l’herbe. Et donc probablement aussi de faire évoluer les systèmes allaitants pour refaire de l’engraissement à l’herbe avec des vaches et veaux issus de ces troupeaux et peut être aussi issus des troupeaux laitiers.
40.03 : Faut-il « lutter contre » cette spécialisation des territoires ?
Cette spécialisation s’est faite pour des raisons économiques. Logique d’économie d’échelle d’où l’accroissement de la taille des troupeaux et le phénomène d’économie d’agglomération (on est bien plus efficace quand la production, la transformation sont concentrés en un seul site). C’est vrai partout dans le monde. Regardez où le porc se développe. C’est dans des systèmes très intensifs, très industrialisés, très concentrés. Est-ce qu’on peut aller contre ça ? Cela parait difficile. Il faudrait vraiment changer nos modèles économiques.
40.44 : Pourrait-on répartir l’élevage autrement sur le territoire ? Polyculture élevage ?
C’est vrai que la polyculture élevage a beaucoup d’atouts environnementaux. Elle a des inconvénients. C’est à dire qu’à l’échelle d’une exploitation c’est un double métier (cultivateur – éleveur), double investissement, ça va à l’encontre de la spécialisation et les métiers sont devenus aujourd’hui tellement technique qu’on ne peut plus être bon partout. Cette polyculture élevage peut s’imaginer de deux façons : soit dans des très grandes structures agricoles avec des taches spécialisées mais avec une véritable coordination avec les ateliers soit à l’échelle d’un territoire ou des exploitations échanges des biens et des services avec des exploitations d’élevage. L’éleveur fournissant à son voisin des engrais organiques et le voisin cultivant par exemple de la luzerne (ce qui sera très bien dans ses rotations céréalières) et la vendant à son voisin qui la donnera à manger à vaches ou en extraire du jus pour le donner à des cochons.
41.53 : Cette polyculture élevage mérite d’être développée. Est-ce qu’on peut faire ça partout en France ?
La logique économique nous a montré que non sauf à vraiment changer les règles. Mais on peut tout de même avoir des politiques incitatives pour maintenir l’élevage dans des zones où il tend à disparaitre. Là où il y a de la polyculture élevage et où les fermes s’agrandissent et où les agriculteurs ont tendance à favoriser la culture et à abandonner l’élevage car c’est moins contraignant. Donc avoir des politiques pour maintenir l’élevage dans ces zones. Et dans les zones où l’élevage a complètement disparu, est-ce qu’on ne peut pas en réintroduire par des politiques régionales bien construites ? Cela se fait notamment dans le bassin parisien. Ces sont beaucoup de petits ruminants mais on pourrait penser à d’autres pour valoriser des résidus de récolte, des co-produits et surtout pour ramener de la matière organique dans ces sols qui commencent à en manquer de plus en plus car ils n’ont pas vu d’élevage depuis des dizaines d’années maintenant.
43.12 : On peut imaginer des petits rééquilibrages comme ça mais je ne pense pas que ce soit massif. Si on regarde la carte d’Europe de l’élevage, on voit bien qu’il y a des zones hypers trop concentrées en élevage (ça pose des problèmes environnementaux) et d’autres où il n’y a plus d’élevage. Finalement en moyenne, sur la surface agricole européenne, on est à 1 UGB/hectare. On n’est pas si mal que ça. Simplement il y en a beaucoup trop dans certaines zones et plus du tout assez dans d’autres. Retrouver ces équilibre va être très compliqué. Mais il faut faire des efforts.
44.16 : Quel conseil donner aux éleveurs ?
Imaginez-vous ce que vous voulez être dans 20 ans et mettez en œuvre aujourd’hui les actions pour y arriver. Il a des changements qu’on peut faire tout de suite. Par exemple on va réduire un peu le soja et on va remettre un peu de légumineuses dans les champs.
45.34 : Comment faire pour réduire le méthane entérique en France en réduisant les effectifs en produisant les mêmes quantités lait et de viande qu’aujourd’hui ?
Cela amène à repenser un nouvel équilibre : est-ce qu’il ne faudrait pas par exemple dans nos populations bovines françaises retrouver les équilibres (population vaches laitières – vaches allaitantes) d’avant les quotas laitiers des années 80 ? On a développé aujourd’hui énormément les élevages allaitants. On entretenait il y a 40 ans les mêmes surfaces dans le massif central et dans les zones de montagne difficiles avec moins de vaches allaitantes. Est-ce qu’on ne peut pas repenser ces équilibres-là ? Et se dire que finalement, en France on est très peu efficace en GES/kilogramme de viande produite parce qu’on fabrique les veaux. On sait bien les faire mais ce n’est pas nous qui les engraissons. Ce sont les italiens. Et les italiens quand ils vont négocier à Bruxelles, ils disent que par kilogramme de viande produite ils émettent beaucoup moins de GES que les français. Évidemment puisqu’ils ne prennent que l’engraissement. Pour des filières bovines, comment on fait pour produire autant de viande, faire vivre les éleveurs qui resteront correctement de leur métier en produisant moins de GES. Je pense qu’il faut repenser ces équilibres entre lait et viande. Comment faire de la viande bovine demain en France ? C’est une vrai question dont la filière doit se saisir pour être encore présente demain.
47.44 : Il ne faut pas maintenir coute que coute le système actuel, il faut intégrer les changements et s’adapter collectivement. Des questions identiques peuvent se poser en filière porc et volaille. Pour la volaille il y a une question majeure : est-ce qu’on va continuer à faire de la volaille très intensive ou est-ce qu’on va vers de la volaille beaucoup plus plein air – bio. On va certainement produire moins mais il y a des ateliers de volaille qui se développent pas très loin qui sont 10 fois, 50 fois ce qu’on a chez nous. Quel est l’avenir de la filière ? Quels choix elle fait pour son avenir ? Les filières animales sont à la croisée des chemins.