Michel Duru, Ingénieur agronome et directeur de recherche à l’INRAE
Spécialiste de la transition agroécologique des systèmes alimentaires, sa spécialité vise à répondre à plusieurs enjeux fondamentaux :
– changement climatique (comment on peut réduire l’impact de l’agriculture et de l’alimentation sur le changement climatique ?
– Effondrement de la biodiversité dans les sols et les paysages,
– assurer la sécurité alimentaire pour permettre une alimentation à la fois saine et durable.
En terme d’agriculture, cette transition passe par une diversité des cultures. Dans les pays occidentaux dont la France, ce qui s’est passé depuis ces 50-60 dernières années c’est une simplification des systèmes agricoles vers deux ou trois cultures, une spécialisation des régions voire une spéciation des continents.
Cette spécialisation a conduit à ce qu’on appelle une perte de régulation biologique ce qui nécessite pour produire autant d’utiliser plus d’intrants de synthèse, engrais azotés, qui contribuent largement au changement climatique, pesticides qui posent problème par rapport à la biodiversité voire à la santé humaine.
Donc la re-diversification des systèmes de cultures est une des clés de cette transition agroécologique, pour faire face aux défis.
Mais cette question ne concerne pas que les agriculteurs, elle concerne l’amont de l’agriculture et aussi l’aval.
En dehors de ces grandes cultures, il y a la problématique de l’élevage qui utilise en France plus de 50% des surfaces (prairies et 1/3 des céréales sont utilisées pour l’élevage).
Pour faire face au changement climatique, la plupart des travaux scientifiques s’accordent à dire que l’on va devoir réduire l’élevage mais le faire mieux.
Pour 100 grammes de protéines que nous consommons, les protéines animales venant de l’élevage nécessitent et émettent entre 5 et 10 voire 15 fois plus d’équivalent de gaz carbonique par rapport à une protéine végétale.
La question n’est donc pas de supprimer l’élevage ce qui serait contre-productif par rapport à l’environnement et par rapport à la santé humaine mais de mieux circonscrire l’élevage et qu’il soit plus vertueux pour l’environnement et le plus bénéfique possible pour la santé. Il y a des formes d’élevage qui sont extrêmement vertueuses.
Si on en reste aux ruminants (vaches, moutons), les formes d’élevage basées sur la consommation de l’herbe sont bénéfiques à plusieurs titres. D’une part elles consomment une ressource qui n’entre pas en compétition avec nous et d’autre part ça permet de produire du lait et de la viande qui sont riches en acides gras (omega 3) très utiles pour notre santé et dont nous sommes déficitaires. Le problème c’est que seulement 35% du lait est produit à l’herbe en France donc il y a des marges de progrès considérables et que pour la viande ce qui compte c’est la finition (seulement 20% de la viande est finie à l’herbe).
Avoir des produits plus vertueux pour les ruminants nécessite de repenser profondément les filières et notamment ne plus dépendre du soja importé d’Amérique qui contribue à la déforestation mais qui aussi conduit à un lait moins bien équilibré en acides gras. Tout cela conduit à repenser le lien entre l’agriculture et l’aval.
Pour les monogastriques (porcs et volailles), le problème est tout autre puisque leur alimentation, à 85% entre en compétition avec la notre. Ils consomment des céréales que nous pourrions consommer. Donc il s’agit de réduire la voilure.
Ce qu’il faut savoir c’est que suivant le mode d’alimentation des porcs et des volailles on peut considérablement améliorer ou non la teneur en acides gras de ces produits (œufs, viande de poulet et de porc).
Voilà une des pistes pour avoir un système vertueux.
On peut aller plus loin. On peut envisager que la production de viandes soit un co-produit des cultures et il y a sur ce sujet des pistes très innovantes.
L’agriculture de conservation des sols qui consiste à couvrir le sol en permanence sans le labourer, d’avoir deux cultures (une culture qu’on récolte : la céréale ; une interculture qu’on laisse au sol pour l’enrichir en matières organiques avec la possibilité de la pâturer). Cette interculture pâturée n’entrant pas en concurrence avec l’alimentation humaine et ça permet de fournir des protéines de qualité. L’autre voie ce sont des intercultures entre les rangs de vigne et d’arbres. D’une part c’est bénéfique pour la vigne puisque ça apporte de l’azote s’il y a des légumineuses, ça constitue des habitats pour lutter contre les ennemis naturels de la vigne ou des vergers et d’autre part ça fournit une ressource qui ne coute rien et qui n’entre pas en compétition avec notre alimentation.
Il y a énormément de piste en grandes cultures et en élevage. Pour que l’élevage soit le plus vertueux il faut qu’il entre en complémentarité, synergie avec les céréales, la vigne ou les arbres fruitiers par exemple.