Agriculture intensive : comment en sommes-nous arrivés là ?

Entretien avec Bernard Ronot - Comment l'agriculture a basculé à partir du nitrate vers une agriculture utilisant de plus en plus de produits phytosanitaires ?

Si le nitrate et la modernisation de l’agriculture ont été les révélations de ma jeunesse. Je vous parle en tant qu’agriculteur formé à un agriculture chimique.

Quand j’avais 20 ans et que j’ai commencé à mettre 20-30 litres d’azote à l’hectare à la main moi je me suis vraiment régalé. Quand mon père et moi avons vu ce qu’on obtenait en mettant 20-30 unités d’azote à la main : une augmentation de production entre 5-10 quintaux l’hectare. C’était la révolution agricole de l’époque.

L’ammonitrate a été découvert avant le 20e siècle. Le nitrate, l’explosif a été utilisé pendant la première guerre mondiale. On s’est rendu compte après la guerre que le zone les plus intense en végétation étaient celles qui avait bombardées d’explosifs dans les tranchées. A partir de ce moment-là les réserves de nitrate ont été proposées à l’agriculture mais son utilisation n’a pas été immédiate. Il a fallu attendre l’après seconde guerre mondiale pour qu’il y ait une utilisation intensive et une grande augmentation des rendement.

1.58
A partir du moment où on a commencé à mettre de l’azote, la cascade des produits phytosanitaires s’est enclenchée.
Tout d’abord pour combattre le vulpin qui se développait avec l’azote au niveau des épis de blé. Réponse des industries chimiques : vous mettez 150 d’izoproturant dans de l’eau et vous détruisez le vulpin.
2.41
on a continué et on a obtenu une végétation très très exubérante qui a maintenu l’humidité au niveau du sol ce qui a amené les champignons qui sont montés au niveau des épis et ils les ont attaqué. L’industrie a proposé le fongicide.
3.12
L’azote a provoqué un excès de sève dans les blés. Les insectes sont alors venus réguler cet excès. Et on a eu le puceron. Une autre réponse chimique a été proposée.

Autrement dit avec le nitrate il a fallu utiliser d’abord le désherbant, le fongicide et l’insecticide. Le paysan est devenu dépendant du nitrate. C’est une véritable drogue.

3.42
De 20-30 unités d’azote, au bout de 15 ans, il fallait utiliser 200 unités d’azote sur les blés. La production était de 70 quintaux/hectare. Il fallait utiliser 2-3 fongicides et 1-2 insecticides. On plafonnait au niveau des rendements jusqu’au jour où une technicien phytosanitaire m’a pris pour un inconscient en me voyant manipuler sans protection les produits chimiques. Si je suis obligé de m’habiller en scaphandre pour travailler il y a quelque chose qui ne va pas.

4.50
On s’était tracé deux objectifs :
– reconvertir la ferme,
– la rendre viable.
On ne reconvertie pas toute une exploitation du jour au lendemain. S’il y a 20 ans on était considéré comme des marginaux de reconvertir notre ferme, aujourd’hui, grâce à la crise que traverse l’agriculture on est obligé de remettre tout en cause pour pouvoir vivre. Je ne dis pas que l’agriculture de demain sera biologique ou en biodynamie mais il faut qu’on construise une autre agriculture avec la terre, les plantes, la biodiversité.

6.16
Après être passé où on est passé, il faut maintenant se réapproprier les connaissances perdues (rotations des cultures, connaissances de la terre, de la vie du sol, …).
Il y a des plantes qui fixe l’azote comme la luzerne, le trèfle, les lentilles. Elles prennent l’azote de l’air, les fixent au niveau des racines, qui s’en nourrissent et qui le restituent aux plantes consommatrices d’azote comme le blé. Le nitrate est fait de manière naturelle par la luzerne.

7.15
Il faut qu’on s’apprenne à comment bien nourrir ces vers de terre car ce sont eux qui aèrent, qui renouvèlent la terre et en font une terre parfaitement équilibrée. C’est ça l’agriculture de demain.

L’avenir de l’agriculture est splendide si on va dans ce sens-là.

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