Le changement rapide des valeurs des européens dans la relation entre l’Homme et l’Animal a fait rapidement progresser les régimes alimentaires notamment vers les végétarisme au sens large.
1.06 : On observe des changements très très rapides depuis 4-5 ans sur ces sujets de végétarisme et notamment de consommation de viande. On sait très bien que la consommation de viande rouge a diminué depuis 1980 mais depuis quelques années cela touche d’autres types de viandes, d’autres types de produits animaux.
1.29 :
On observe des grands changements de valeurs, de philosophie qui nous viennent en grande partie des USA. Ce sont des valeurs qui s’opposent entre générations. Voir les travaux du sociologue américain Ronald Inglehart qui montrent que selon la génération à laquelle on appartient on n’a pas la même façon de voir les choses. Il y a une opposition qui est très forte entre les générations nées avant 1946 et les générations qui sont nées après.
On a une génération clé (1947-1956) qu’on appelle aussi génération « Mai 68 » qui apporte une nouvelle manière de voir les choses. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité individuelle. Il y a des valeurs qu’on appelle plus « post-matérialistes » qui s’opposent à des façons de vivre les choses qui étaient beaucoup plus autocratiques avant cette période. Les institutions encadraient les comportements des individus. Aujourd’hui les gens souhaitent l’autonomie et finalement cela se retourne un peu contre eux puisque chacun doit prendre en main sa vie, chacun est responsable. Sur l’alimentation c’est la même chose : chacun est responsable de sa propre santé et chacun est responsable d’agir sur des sujets comme le changement climatique. On va demander de plus en plus au consommateur d’être un des acteurs principaux.
3.15 : On voit cela sur un grand nombre de sujet : à la fois être responsable de sa propre santé et de son impact sur le changement climatique. Les consommateurs ne sont conscients de cette urgence climatique que depuis 5-6 ans. On va avoir des changements très forts notamment dans les jeunes générations qui ne vivent pas l’urgence de la même façon que les générations plus âgées.
3.55 : Quels rôles jouent les crises sanitaires sur la consommation ?
Les consommateurs ont pris conscience que ce qu’ils mangeaient avait un impact sur leur santé. La crise ESB a été très marquante avec beaucoup de morts chez les jeunes. Cela a créé une grande inquiétude par rapport à la santé. Avant les années 90 on ne se posait aucune question quand on mangeait. C’était quelque chose de convivial, une transmission familiale intergénérationnelle.
05.08 : Depuis 1995, dans nos enquêtes, on pose une question : A votre avis est-ce que les produits alimentaires présentent des risques pour la santé ? On avait la moitié de la population française qui pensait que cela représentait des risques légers ou importants, en 2018, 74% des français pensent que quand ils mangent cela représente des risques sur leur propre santé. Depuis l’ESB il y a eu d’autres crises dont celle de la fraude à la viande de cheval. Même si cela n’avait aucun impact sur la santé des gens, le traumatisme des années 90 a été revécu. Et puis il y a eu l’intoxication de poudres de lait chez Lactalis.
6.40 : On rejoint dans ces inquiétudes alimentaires d’autres pays qui ont fait ce lien depuis longtemps entre nourriture et incidence santé.
6.54 : Que représente l’environnement pour les nouvelles générations ?
La préoccupation environnementale en France ne date que depuis 2017. Cela concerne 40% des français alors qu’ils n’étaient que 5% dans les années 80, que 10% dans les années 2010.
Cela a progressé très très fortement parce que tout le monde a vu de ses yeux les incidents climatiques, les inondations, tout ce qui touche les cultures comme les sécheresses. C’est tellement présent dans le quotidien que finalement cette préoccupation progresse depuis 2017.
8.01 : La question posée : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus en premier et en second ?
9.00 : Les préoccupations qui prennent la première place : violences et insécurité.
9.37 : Il y a de grandes différences selon les catégories de population.
9.45 : Par génération : qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ?
En jaune la génération clé née entre 1947 et 1956. En 40 ans ils ont beaucoup évolué puisqu’ils n’étaient que 2% à se préoccuper de l’environnement alors qu’aujourd’hui ils sont 25%. Les générations nées avant la guerre accusent un déclin de cette préoccupation environnementale.
10.50 : En revanche, les plus jeunes. En bleu « génération mieux manger » et celle qui apparaitra au dessus : la génération Greta. Ces nouvelles générations considèrent l’environnement comme un dossier prioritaire à travailler.
11.22 : Pourquoi cette baisse et cette remontée quasiment sur chacun des profils ?
11.28 : Cette inflexion correspond à la crise économique. Quand il y a une crise économique avec une baisse du pouvoir d’achat comme en 2010-2011 : le premier sujet de préoccupation est le chômage et la pauvreté. Avec la crise covid, ce sont les préoccupations de santé qui augmentent.
12.20 :
Les populations les plus préoccupées par l’environnement sont avant tout les plus diplômées. Ce sont eux qui vont emporter l’opinion publique. On voit maintenant que cela progresse chez tout le monde même chez les plus modestes. Les éco-anxieux qui sont les plus jeunes et les plus diplômés vont vouloir faire quelque chose et le plus facile c’est d’agir sur ce qu’on mange. Le faire sur ses modes de transport ou sur son logement c’est plus compliqué.
15.12 : Qu’est-ce qui a été à l’origine de la préoccupation du bien être animal ? Comment s’est faites cette évolution de perception en Europe et particulièrement en France ?
La question soulevée est : « Comment l’Homme se situe-t-il par rapport à la nature ? » Quelle place occupe l’Homme sur terre ?
Dans les pays du Sud (France, Italie, Espagne), on était plutôt dans une logique « l’Homme est au-dessus de la nature ». C’est à dire que même l’agriculture se posait en capacité de maitriser la nature.
Dans les cultures plus protestantes (pays du nord), on est moins certain de pouvoir dominer la nature. On est dans l’utilitarisme : l’Homme appartient/fait partie de la nature. Le monde du vivant est en interaction. Le covid montre cela : on vit avec et on s’adapte. Dans la culture du Nord, depuis très longtemps l’animal a une place aussi importante que l’humain.
17.16 : En France on a changé la loi. Dans le code civil, un animal était considéré comme un meuble.
17.35 : En 2010 quand on pose la question : « Quels sont les vrais risques alimentaires ? » on voit des réponses très différentes. Dans le nord de l’Europe, le premier risque quand on mange c’est de mal traiter l’animal. Alors qu’en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, le premier risque ce sont les pesticides (mettre des produits chimiques créés par l’Homme pour dominer la nature). On considère que la nature est bonne et qu’il ne faut rien modifier d’elle. Alors que dans la culture anglosaxone, considérer que la nature fait tout très bien toute seule et qu’il ne faut pas y toucher est moins important que respecter l’animal. C’est cette vision qui est arrivée en France plus tardivement du fait des différences de philosophie.
20.09 : Profils végétariens – végans
Une différence très forte entre Royaume-Uni, Allemagne, Italie, France. On a fait une enquête sur 4 pays (France, Espagne, Allemagne et Royaume-Uni). Historiquement il y une association pour le végétarisme au Royaume-Uni créée beaucoup plus tôt que dans les autres pays d’Europe. Il y a une vision par rapport à l’animal qui est très différente : au Royaume-Uni le bien être animal = ne pas tuer l’animal car c’est de la cruauté et il faut donc arrêter de manger de la viande. Ce courant sur le végétarisme est arrivé sur cette idée.
21.20 : Quand on regarde la proportion de végétariens et de végans dans les 4 pays on voit que ce sont avant tout des jeunes (avant tout les 18-34 ans). Et ce sont les plus diplômés. Et c’est plus fort en région parisienne. Cela concerne les CSP commerçants artisans et les cadres. Dans tous les pays on a le même profil parce que le végétarisme s’appuie chez eux sur un questionnement environnemental fort précisé plus haut. Il s’agit pour le moins de réduire sa consommation de produits carnés.
23.42
Le terme flexitarien vient d’Angleterre flexitarian ça veut dire que c’est le moment de la vie où on change et on veut passer d’une consommation de viande à zéro viande. C’est plutôt un moment de passage. Dans l’enquête présente, le terme flexitarien a été précisé auprès des interrogés : vous avez réduit votre consommation de viande pour des raisons autres qu’économiques. Pourquoi accorder de l’importance à cela ? Parce que dans les années 2000 les végétariens étaient essentiellement dans les classes les plus modestes. Aujourd’hui, ceux qui sont végétariens ne sont pas ceux qui ont des problèmes d’argent.
25.50 : Le terme flexitarien a été « récupéré » par les interprofessions de viande en disant : vous n’allez pas passer de tout à rien mais vous allez rester dans un régime alimentaire où vous mangerez moins de viande.
Donc c’est « à titre individuel je choisis de manger moins de viande que l’année dernière ».
26.19 : On est à 1/4 des français flexitariens, comme d’ailleurs dans tous les pays. C’est un choix conscient. Au delà des considérations environnementales, il y a aussi la tendance « one health ». Une santé pour tous (soi-même, l’animal, la planète, …).
27.27 : La viande fait partie de leviers pour agir au même titre que la mobilité douce (vélo). Quand on est citoyen il est difficile d’agir sur tout. On ne peut pas vivre comme un ermite. Dans l’évolution de la consommation de viande il y a un facteur très fort qui est qu’à partir d’un certain âge on en mange moins. Donc on est flexitarien mais sans le savoir. A partir de 50 ans, une fois que les enfants sont partis du foyer, il y a une croyance qui dit que quand on vieilli on a moins besoin de protéines alors que c’est complètement l’inverse. Et il est vrai qu’on a aussi des difficultés pour en manger. Mais ce n’est pas une volonté réelle.
28.50
La première motivation à la baisse de consommation de viande et ce dans tous les pays : être en bonne santé.
Ensuite arrivent les raisons du bien être animal.
Ensuite les raisons d’environnement (35%).
30.54 : Est-ce que les médias « préparent » l’opinion à la consommation d’alternatives à la viande (viande in-vitro ; substituts végétaux ; insectes) ? Est-ce que l’on peut faire pivoter considérablement des consommations ?
Sur des produits qui sont totalement inconnus au répertoire alimentaire d’un pays c’est très très très compliqué de faire changer les choses. Les insectes, avant qu’on en consomme, c’est rédhibitoire. Cela n’a jamais fait partie du répertoire de nos parents, de nos arrières grands parents donc on a une résistance très forte par rapport à ça. Les acteurs qui en font savent très bien qu’il faudra au moins 10 ans pour arriver à faire consommer ces produits-là et ce sera d’abord intégré dans l’alimentation animale plutôt que dans l’alimentation humaine. Ces solutions-là sont proposées parce qu’à force de diminuer la quantité de protéines (réduction de la consommation de produits carnés) certaines populations n’en consommeront peut être pas assez. Mais aujourd’hui il n’y a pas de question. Sauf chez les plus âgés qui ne consomment pas assez de protéines, on en consomme suffisamment par rapport aux recommandations. Ces offres sont là pour remplacer à un moment les protéines animales. La viande in-vitro est présentée sous forme de steak pour que ce soit plus facilement acceptable par le consommateur. Parce que dans une vie quand on a adopté des goûts, des préférences alimentaires on ne peut pas modifier considérablement tout ce qu’on mange. Il faut du temps. Pour changer, il faut des ruptures comme ce qui s’est passé pendant le covid. Quand on a des ruptures dans sa vie (en ce moment il y a beaucoup de bifurcations de vie), on peut changer. Mais globalement les grands changements ne se font que par l’arrivée des nouvelles générations qui mangent différemment. Donc ceux-là pourront se mettre à les consommer quand ils auront 20 ans et que l’offre sera en place. Donc on voit bien que ce n’est pas un même individu qui avait un mode de consommation pendant des dizaines d’années et qui se mettrait soudainement à le diminuer puis à le remplacer par autre chose. Ce n’est pas comme cela que ça se passe.
35.10 : Les français sont très réticents à manger des choses totalement chimiques, complètement inventées par l’humain. Parce qu’ils ont cet idéal d’une nature bonne. Ce qui augment aujourd’hui c’est la consommation de jus végétaux et de légumineuses. On a remis dans notre répertoire alimentaire des produits qu’on consommait il y a 40-50 ans. Cet ancien plat du pauvre est repris par les plus aisés.