Vers une alimentation durable

Nicole Darmon, Directrice de Recherche INRAE, nous explique l'alimentation durable et ses piliers et montre qu'une alimentation nutritionnellement équilibrée n'est pas forcément durable pour l'environnement...

0.40 : Pourrions-nous avoir une définition de l’alimentation durable ?

0.48 : La définition de la FAO rédigée en 2010 a guidé les recherches depuis dix ans.

1.42 : C’est une définition très holistique et très ambitieuse.
http://www.fao.org/3/i3004e/i3004e.pdf

Il s’agit plus d’un concept. Pour travailler sur ce concept il faut l’opérationnaliser. Et une façon de le faire c’est de définir des dimensions sur lesquelles on va s’appuyer pour les études.

02.10 – 4 dimensions

Il faut concilier les exigences sur ces 4 dimensions pour arriver à une alimentation durable ou en tout cas plus durable qu’aujourd’hui.

04.05 : De quelles informations a-t-on besoin pour mettre en œuvre cette alimentation durable ?

4.07

Pour chaque dimension de l’alimentation durable, on va définir des métriques qui la représentent et chercher des données sur ces métriques. Elles vont permettre de décrire les caractéristiques de chacune des dimensions de l’alimentation durable.

4.46 :
Pour la dimension nutrition/santé, on rassemble des métriques sur les compositions nutritionnelles des aliments et sur les besoins en nutriments, macro-nutriments, micro-nutriments.
Pour la dimension acceptabilité culturelle, on va se baser sur les habitudes de consommation, et on a  donc besoin d’enquêtes individuelles auprès des consommateurs (comme l’enquête INCA en France).
Pour la dimension économique, il est important d’avoir des informations sur les budgets alimentaires des ménages, le prix des aliments. On se base sur des enquêtes d’achat.
Pour les contaminants (qui reflètent à la fois la dimension santé et la dimension environnementale), on se sert d’études comme les « études sur l’alimentation totale » (ETA) celles dont on dispose en France.
Pour la dimension environnementale, on va utiliser des données en général basées sur une analyse de type ACV (Analyse du Cycle de Vie). En France nous avons la base Agribalyse développée par l’INRAE et l’ADEME librement accessible depuis fin 2020.
Pour les travaux de recherche nous avons utilisé les données d’une base appelée Green next.

6.36 : Une fois que vous avez identifié toutes les métriques, il faut les agréger à l’aide d’une catégorisation commune des aliments et de liens entre les variables.
Exemple de constitution de base de données générique pour l’étude de l’alimentation durable : Gazan et al, Food Chemistry 2017 (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S030881461631932X?via%3Dihub)

Les facteurs pris en compte pour l’ACV des études que je vais présenter par la suite sont : l’impact carbone, l’acidification et l’eutrophisation.

7.49 : Quels sont les leviers que l’on peut actionner pour obtenir une alimentation saine et durable ?

La FAO et l’OMS ont récemment publié un rapport (https://www.who.int/publications/i/item/9789241516648) dans lequel ils opérationnalisent la définition conceptuelle de 2010. Ils y listent les leviers à actionner pour aller vers une alimentation plus durable.

Les choix alimentaires représentent l’un des leviers les plus importants.

9.16 C’est en 2010 que nous avons eu pour la première fois des données sur l’impact carbone des aliments, nous permettant de calculer celui de l’alimentation. Ici on voit comment l’impact carbone se répartit entre les sexes. Travail basé sur l’enquête nationale sur la consommation alimentaire INCA2. Vieux et al, Ecol Econ 2012 (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800912000043)

La courbe noire : distribution de l’impact carbone de l’alimentation en équivalent carbone par jour dans l’ensemble de la population adulte.
La courbe verte : femmes qui ont un impact carbone moindre que les hommes (en rouge).

Cette différence est assez facile à expliquer car les femmes mangent moins. Il y a aussi un effet qualitatif car elles mangent un peu différemment des hommes. Mais c’est surtout parce qu’elles mangent moins qu’elles impactent moins.

9.40 : On a estimé l’impact carbone (ou Emissions de Gaz à Effet de Serre) pour chaque individu dans la population INCA2.  L’un des résultats de cette étude, c’est la très grande variabilité inter-individuelle.

11.05 : Derrière les impacts moyens il y a une grande variabilité.

Impact carbone/j de l’alimentation des individus.
Calories consommées par ces individus par jour.
On a une corrélation positive très forte. Plus on mange plus on va avoir un impact élevé.

12.15 : Des conclusions évidentes :
– il ne faut pas manger plus que ce dont on a besoin,
– il faut limiter le gaspillage.

12.29 : Cette corrélation est forte certes mais il faut pouvoir aller au-delà. Dans les études conduites généralement, on a une seconde étape où on va ajuster sur les quantités de façon à comparer par exemple deux diètes différentes ou deux populations différentes en considérant que les apports énergétiques sont similaires sinon on ne peut pas voir ce qui se cache derrière cet effet quantitatif.

13.08 : Si on a une alimentation parfaitement équilibrée sur le plan nutritionnel, est-ce qu’elle sera forcément bonne et vertueuse pour l’environnement ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons étudié la corrélation entre la qualité nutritionnelle des diètes et leur impact carbone. Vieux et al, Am J Clin Nutr, 2013 (https://academic.oup.com/ajcn/article/97/3/569/4571517)
Les nutritionnistes ont une grande expérience de l’évaluation de la qualité nutritionnelle des diètes et donc ils ont développé de nombreux indicateurs parfaitement maitrisés.

Les indicateurs MER et ED sont des indicateurs de mauvaise qualité nutritionnelle.

15.21.

Les résultats ont indiqué une corrélation positive entre l’indicateur de qualité nutritionnelle (MAR) et l’impact carbone. Les gens qui ont une diète de meilleure qualité nutritionnelle sont ceux qui ont une diète d’impact carbone plus fort.  Une diète bonne pour l’Homme ne sera pas forcément bonne pour la santé de la planète.

17.09 : Pour mieux comprendre, prenons un exemple caricatural. Il s’agit de comparer deux diètes : une diète idéale dur le plan nutritionnel, de type méditerranéen (à droite) et une diète très déséquilibrée constituée uniquement d’aliments qu’on a successivement appelés « junk food », « western diet », « calories vides » et aujourd’hui « ultra-processés ».

On a tendance à dire que c’est la diète méditerranéenne qui est la plus saine or ce n’est pas si évident.

Densité énergétique junk food : 300 kcal/100gr
Densité énergétique alimentation méditerranéenne : 125 kcal/100 gr

Si on veut avoir 2000 Kcal, il faudra consommer seulement 0,66 kg d’aliments de junk food alors qu’il faudrait 1,6 kg d’alimentation méditerranéenne.

20.13

Donc ça veut dire que manger sainement pour l’homme veut dire consommer beaucoup d’aliments de faible densité énergétique et de forte densité nutritionnelle, comme les fruits et légumes.

Cette relation positive entre l’impact carbone et les quantités consommées, explique pourquoi nous avions trouvé une corrélation positive entre la qualité nutritionnelle et l’impact carbone.

21.52 : La durabilité implique de concilier la santé de l’homme, de la planète et des animaux.

22.09 : Pensez-vous que le régime proposé par la Commission Eat Lancet sur l’alimentation, la planète et la santé est un régime durable ?

Il n’y a pas qu’un régime Eat-Lancet même s’ils communiquent beaucoup sur Un régime de référence. Or derrière ce régime de référence, ils ont caché tout un tas d’autres régimes (décrits ci après).

Publication originale : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140673618317884?via%3Dihub

22.44 : Pour resituer le contexte, une commission a été réunie sous l’égide du journal médical scientifique Lancet. Ce journal a l’habitude de réunir des commissions internationales sur des sujets importants. Ces experts ont défini une diète saine, la healthy diet, en partant de leurs connaissances de la littérature sur la relation entre l’alimentation et la santé. En parallèle, d’autres experts dans le champs de l’environnement ont calculé les limites planétaires tolérables pour les impacts environnementaux en particulier pour l’impact carbone puis ils ont fait des simulations en combinant ou non différents scénarios :
– des scénarios de changement alimentaire,
– des scénarios sur les modes de production,
– des scénarios sur la réduction du gaspillage.

23.58 : La conclusion de l’article c’est qu’il faut combiner les trois stratégies. Mais la communication de la commission EAT Lancet se fait presque exclusivement sur les changements alimentaires.

En fait derrière l’assiette de référence schématisée en bas à droite, se cachent plusieurs régimes.

24.20

Dans la colonne de gauche, à côté des grammages (en orange) de La diète de référence, pour chacune des grandes catégories, vous avez des valeurs entre parenthèses avec des fourchettes de grammages. Quand on arrive aux produits animaux la limite basse de la fourchette est toujours à zéro. Cela veut dire qu’ils considèrent qu’un régime où tous les produits animaux seraient à zéro sauf les fruits, les légumes et les céréales et les graisses ajoutées est acceptable et même durable. Tous les nutritionnistes savent que c’est impossible.

25.35

On sait que mathématiquement il est impossible d’avoir une diète qui respecte l’ensemble des recommandations nutritionnelles en s’appuyant uniquement sur des produits végétaux.  Donc c’est un problème car cette diète est donnée comme exemple à atteindre.

27.20 : C’est presque un problème méthodologique car quand on part d’un a-priori pour travailler sur l’alimentation durable on ne peut que se tromper puisqu’on n’intègre pas dès le départ les différentes dimensions et les différentes exigences auxquelles on veut aboutir.  La bonne façon de faire c’est d’avoir une approche multi-critères : nutritionnellement adéquate, bonne pour l’environnement, économiquement accessible et pas trop éloignée des habitudes de la population.

28.00 : Faut-il arrêter de consommer de la viande pour avoir une alimentation plus durable ?

28.29 : Je vais vous donner l’exemple d’une étude que nous avons faite en France.

Masset et al, Am J Clin Nutr, 2014 (https://doi.org/10.3945/ajcn.113.077958)

On a essayé d’avoir une approche de type multicritères pour regarder aujourd’hui s’il existe des personnes ayant une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle et un impact carbone plus faible pour leur alimentation.

On est allé chercher les individus et diètes des individus situés à l’intersection (cercle orange) de deux exigences (qualité nutritionnelle de leur alimentation supérieure à la médiane ; impact carbone inférieur à la médiane de la population). On aurait pu se dire qu’il n’y avait personne à cette intersection étant donné que ces deux dimensions peuvent sembler totalement antagonistes.

29.50 : On a trouvé à cette intersection 1 adulte/5 qui a une alimentation plus durable que celle des autres parce qu’elle est plus équilibrée nutritionnellement et a un impact carbone diminué de 20%.

30.22 : On est allé voir ce que ces « déviants positifs » consommaient.

On les appelle « déviants positifs » car ils sont différents des autres, mais positivement différents.

30.55

Colonne de gauche : consommation de l’ensemble de la population.
Colonne de droite : consommation des déviants positifs.

La première grande différence : ils mangent moins que les autres (différence de 200 kcal/jour). C’est l’effet quantité mais il n’explique pas à lui seul la réduction de 20% de l’impact carbone. Il n’explique que la moitié de cette réduction.
L’autre moitié est expliquée par des choix alimentaires différents mais pas radicalement différents.  Ce sont plutôt des ajustements, des petites différences qui vont conduire à la fois à cet impact carbone diminué et cette valeur nutritionnelle augmentée.
Augmentation des fruits et légumes, des féculents (céréales non-raffinées : céréales complètes, semi-complètes, légumes secs).
Baisse de la viande mais non sa suppression.

32.32 : Donc il s’agirait d’une consommation diversifiée, frugale, flexitarienne et, en moyenne, moins chère. Moins chère car basée sur une consommation réduite et notamment en ce qui concerne la viande (premier poste budgétaire dans l’alimentation en France).

33.14 : Est-ce qu’une alimentation végétale est plus durable ?

Il y a un piège avec cette question du végétal.

Sur ce graphique vous avez les impacts environnementaux médians des grands groupes alimentaires (produits animaux à gauche et les produits végétaux à droite).

Si on ne regarde que les impacts environnementaux, on pourrait se dire qu’il suffit de ne consommer que des végétaux or nutritionnellement il manquera des vitamine D et B12 notamment et des acides gras omega3 à longue chaine. D’autre part pour quelqu’un qui ne mangerait que des pâtes, des biscuits, des chips, il aura une alimentation très peu impactante en termes d’impact carbone mais très mauvaise pour sa santé. Malheureusement c’est bien souvent le cas de personnes qui ont un très petit budget alimentaire car ce sont des calories bon marché.

37.09

37.19 : Les inégalités sociales de santé sont en grande partie expliquées par les inégalités en nutrition. Et les inégalités en nutrition, elles, trouvent leurs origines dans le différentiel du coût des calories dans les aliments.

Il faut trouver des moyens pour permettre à tous d’avoir une alimentation bonne pour la santé, accessible financièrement et peu impactante sur l’environnement.

38.12

Tout ce qui est mis sur la diapositive est exclusivement d’origine végétale. Le riz et les pâtes appauvris en nutriments essentiels forment la base de la nutrition des pays pauvres et des populations pauvres dans les pays riches. Ils sont responsables des déficits nutritionnels et contribuent à une mauvaise santé.

39.28

Il s’agit d’un slogan bien connu des nutritionnistes depuis toujours.

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