Bien-être animal : attentes, indicateurs et pistes d’amélioration

Isabelle Veissier, INRAE, apporte des critères scientifiques à l'évaluation du bien être animal.

00.44 : Est-ce que le bien être animal n’est pas une préoccupation des personnes « des villes » alors que les gens de campagne seraient davantage habitués à vivre avec les animaux ?

Effectivement on peut se demander si le bien être animal n’est pas une préoccupation « bobo » alors que de tous temps les animaux travaillent avec les hommes à la campagne. En réalité le terme  si le terme « bien-être » est peu utilisé par les agriculteurs eux-mêmes, ils utilisent d’autres termes équivalents depuis longtemps. Ils pourront dire « ma vache est bien », « la logette est confortable », « l’animal a des besoins qui sont couverts ». Un bon éleveur s’occupe bien de ses animaux. Il veille à ce qu’ils aient un environnement convenable, riche, qui comble tous leurs besoins et qui leur permettent, peut être pas de s’épanouir, mais de vivre une vie correcte. Je pense que les éleveurs ont conscience de ça cependant ils peuvent rencontrer des contraintes qui font qu’ils ne peuvent pas être complètement en accord avec leurs valeurs. On a pu aussi croire que la préoccupation citoyenne provenait d’un manque de connaissance des élevages. Là encore c’est une conception un petit peu erronée. On s’aperçoit que quand les personnes connaissent le monde de l’élevage c’est là aussi qu’ils se posent des questions. Il peut y avoir une vision de l’élevage un peu idyllique qui s’est développée parce qu’effectivement on n’a plus ce contact quotidien avec l’élevage qui pouvait exister au début du XXe siècle.

03.31 : Est-ce que l’élevage induit forcément un mal-être chez l’animal ?

Pas forcément. Il est sûr que les animaux vont être contenus dans un certain environnement. Les animaux sauvages aussi ont leurs lots de stress, leurs lots de contraintes. Ils sont exposés aux intempéries,  à des prédateurs. Donc on ne peut pas dire que tout est rose dans la vie sauvage et tout est noir en élevage. L’élevage c’est apporter le gite et le couvert aux animaux. Donc ça peut être positif. Après il y a des éléments qui sont négatifs. Il y a des types d’élevage très contraignants pour les animaux (poules en cages, les truies bien souvent contenues pendant plusieurs semaines autour de la mise bas). Tout n’est pas noir ou blanc.

04.40 : Peut-on mesurer objectivement le bien être d’un animal ?

Oui bien sûr. Il y a eu des initiatives pour préciser des indicateurs de bien être. Déjà il y a eu des travaux pour définir la notion de bien être. Au début on le définissait par un absence de souffrance.

Ensuite :

05.26 : Des définitions très opérationnelles du bien être ont été émises. Comme celle des 5 libertés.

Chacun de ces points peut être mesuré. Absence de faim et de soif peut se mesurer : on peut regarder si l’animal peut couvrir ses besoins alimentaires, s’il reçoit suffisamment d’eau. On peut également mesurer des éléments de confort. On regarde où les animaux se couchent, comment, s’ils ont des lésions cutanées qui font penser qu’il y a des obstacles dans leur environnement. On peut rechercher tous les signes cliniques de maladie, s’intéresser aux blessures, les boiteries. Il y a également toute la partie comportement qui est moins facile à évaluer. Regarder comment les animaux expriment leurs comportements. Il y a différentes techniques qui ont été élaborées. Tout ce qui vient d’être décrit c’est plutôt pour des évaluations en fermes.

6.51 : Est-ce qu’il existe des grilles normées d’évaluation du bien être ?

Oui. On a fait des protocoles. Dans les années 2000 il y a eu un gros projet welfare quality. Établissement d’un protocole d’observation avec des mesures sur les animaux comme l’examen clinique ou des comportements. Quand les mesures sur animaux n’étaient pas disponibles on les a remplacé par des mesures sur l’environnement. Par exemple mesurer la soif c’est possible mais tout de même un peu compliqué de le faire de manière juste et sensible en élevage. Et donc on a pris en considération le nombre d’abreuvoirs, inspecté qu’ils fonctionnent bien, qu’il y ait de l’eau propre.

Il y a eu des protocoles welfare quality publiés en 2009 avec non seulement une description des mesures mais aussi un outil de scoring.

Quand on note 10% de boiterie, est-ce que c’est une moyenne acceptable ou non ?

C’est un travail qui a été fait pour transformer chaque donnée d’un élevage en un score et ensuite on agrège les scores.

08.26  : En France certaines filières se sont emparées de cette logique pour développer leur propre outil simplifié mais en gardant les douze critères de bien être. En expérimentation on va pouvoir utiliser des critères un peu plus sophistiqués, qui demandent plus de manipulations, d’interprétation, de technicité. On peut par exemple s’intéresser à la fréquence cardiaque des animaux dans différentes circonstances. Quand on a une augmentation brutale du rythme cardiaque c’est que l’animal est stressé. On peut mesurer des hormones comme le cortisol dans le sang. Cela permet de savoir si, face à un évènement particulier, l’animal a ressenti du stress.

09.39 : Est-ce que les règlementations actuelles permettent de garantir un certain bien être des animaux ?

Dans les années 60-70-80, au niveau européen il y a un certain nombre de règles qui ont été adoptées. Des conventions de protection des animaux, en particulier des animaux de ferme par le conseil de l’Europe et des directives par l’Union Européenne. Ces directives sont spécifiques : poules de boucherie, poules pondeuses, poulet de chair, porc. Quand on a des règlementations spécifiques, il y a des éléments spécifiques qui vont être énoncés (nombre de mètres carrés par animal, quantité d’alimentation, …).

10.37 : Il y a des règlementations plus génériques comme la directive européenne n°98-58 du 20 juillet 1998 9858 CE du Conseil du 20-07-1998 concernant la protection des animaux dans les élevages.

Cela concerne tous les animaux d’élevage et c’est d’autant plus intéressant pour les bovins adultes qui n’ont pas de règlementation spécifique. Cela dit ces règlementations décrivent des conditions minimales. Ce n’est pas parce que ces règles vont être respectées qu’on va avoir un niveau de bien être élevé. Par exemple pour la bovins il n’y a pas d’obligation que les bovins soient au pâturage. Or on sait que c’est un élément très important et très stimulant pour les animaux.

11.20 : Si on veut dépasser la règlementation, concrètement comment on fait pour apporter plus de bien être aux animaux ?

Tout dépend de l’espèce. Pour les bovins : la suppression de l’attache, la gestion de la douleur autour de l’écornage, l’accès aux pâturages. On peut aussi se poser la question de la séparation de la vache laitière et de ses veaux à la naissance. Cela pose question à la fois pour les mères et pour les veaux. Il y a l’ergonomie des aires de couchage qui peut être travaillé. Il faut prendre un peu tous les éléments. On peut par exemple partir des 5 libertés citées plus haut et se demander pour un type d’élevage comment je vais les mettre en œuvre au mieux (abreuver, donner accès aux pâturages, les nourrir,  permettre des interactions sociales, éviter les interventions stressantes) ?

13.00 : De toute façon on n’arrivera pas à enlever tous les éléments négatifs. La question de l’écornage : est-ce qu’il faut laisser les vaches avec leurs cornes ? C’est aussi une question de sécurité pour les opérateurs. Je pense qu’il faut les écorner mais le faire dans de bonnes conditions afin d’éviter la souffrance pendant l’écornage (faire de l’ébourgeonnage) et donner des anti-douleurs. On ne retirera pas toute la souffrance mais il faut essayer de limiter au maximum le nombre et l’intensité des expériences négatives. Il faut aussi travailler sur le versant positif  : aménagements, interactions sociales, interactions avec l’homme qui ne soient pas négatives. Je ne suis pas certaine qu’il faille entretenir une grande proximité avec les animaux car ils ont droit de vivre leur vie sans nous. Mais des évènements positifs peuvent venir contrebalancer des évènements négatifs pas tous éliminables.

14.26 : Quels sont les différents labels bien être et qu’est-ce que vous en pensez ?

Il y a différents labels qui vont plus ou moins loin sur la question du bien être animal. J’aimerais mentionner un point particulier. On se pose la question de savoir s’il faut un label bien être. On ne va pas acheter du bio un jour, du bien être un autre jour, du fairtrade un troisième jour, … Il vaudrait mieux associer différents aspects positifs d’un élevage dans un même label c’est ce qui est fait avec les labels rouges.

15.26 : Si on associe élevage extensif et bien être animal ?

L’élevage extensif offre certainement plus de libertés aux animaux puisqu’on associe élevage extensif avec animaux à l’extérieur, sur des plus grandes surfaces vraisemblablement avec une complexité de milieux plus importants. On pense aux cochons corses qui vont dans la montagne. Mais il faut savoir que tout n’est pas merveilleux dans un élevage extensif voire très extensif. On peut avoir des attaques par des prédateurs. Pour les cochons, la truies va bien défendre ses petits mais d’autres animaux n’en sont pas capables. Les animaux peuvent être soumis à des intempéries. On peut avoir des difficultés pour surveiller les animaux. Si un animal est malade, ça va être difficile de la détecter. Il y a des systèmes d’élevage de précision qui permettent de suivre les activités des animaux et détecter des problèmes de santé.  Ce sont des systèmes qui ont un coût et qui ne sont pas forcément dans l’esprit d’un élevage intensif. Si ce sont des animaux qui ont malheureusement une faible valeur marchande, la pose de capteur ne sera pas possible.

17.58 : Est-ce qu’il existe des différences de bien être entre ruminants et monogastriques ?

En terme de ressenti du bien être ou de la souffrance il y en a peu. Que ce soit un cochon, une poule ou une vache, ce sont des animaux qui peuvent ressentir de la souffrance et au contraire ressentir des expériences positives.

Les monogastriques (porcs et volailles) sont plus souvent dans des environnements plus concentrés. En particulier les porcs en bâtiments.

Les volailles, que ce soit les poulets de chair ou les poules pondeuses qui vont dehors, ne sont pas adaptées à des vies en grand nombre. Il peut y avoir des problèmes de reconnaissances. Les volailles, pour se reconnaitre et savoir si elles sont dominantes ou dominées, se donneraient des coups de becs. C’est un gros problème le piquage même pour les poules en extérieur.

J’ai vu un système d’élevage, le Rondeel, au Pays Bas où on a un espèce de poulailler un peu hexagonal. Dans chaque quartier on a un morceau à l’intérieur avec des nichoirs, des branches, des perchoirs pour que les poules aient un environnement riche. A l’extérieur il y a  des semblants d’arbres. Cela semble assez sympa mais quand on regarde autour des croupions des poules, on voit qu’elles ont de nombreux coups de becs. En voyant qu’il y a ce phénomène de piquage dans des environnements riches on peut construire l’hypothèse qu’un élément essentiel du bien être des poules réside dans le fait qu’elles vivent en petit nombre et qu’elles se connaissent.

21.05 : Quels conseils à des futurs éleveurs ?

Je pense que les éleveurs ont beaucoup de bon sens et ils savent bien ce qui est bon ou non pour leurs animaux. Ils se posent beaucoup de questions. Je me rappelle d’éleveurs qui disaient « on écorne mais on n’aime pas ça, comment faire ? ». Il existe des traitements anti-douleur pour que ça se passe dans de meilleures conditions et surtout il ne faut pas écorner à l’âge adulte. A ce moment-là il n’y a aucun moyen de réduire la douleur car l’os est développé et cela revient à couper un os et ce n’est pas admissible. En bovin il y a la question des pâturages, de laisser les vaches laitières un peu avec leurs veaux. Ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons à l’INRAE On voit des comportements extrêmement riches à la fois chez les veaux et chez les vaches. Il y a aussi la question du sevrage chez les animaux de troupeaux allaitants. Le sevrage brutal l’est beaucoup trop puisqu’un veau va rester 6 à 9 mois avec sa mère. Il sera en bâtiment au début ensuite il va sortir aux pâturage et à l’automne on prend les veaux à leurs mères et ils partent loin pour se faire engraisser. Si on pouvait faire en sorte que le sevrage soit plus progressif ce serait bien mieux pour les animaux. Habituer les veaux et les mères à être séparés un certain temps dans la journée, faire une séparation physique en gardant le contact visuel ensuite en faisant une séparation complète. Ce sont des choses qu’on peut imaginer. Elles changent les pratiques mais ne représentent pas forcément un coût très élevé.

24.39 : Si on pouvait aussi ne pas envoyer les broutards se faire engraisser à l’autre bout de l’Europe dans des ateliers où ils vont être mélangés avec d’autres congénères et engraissés avec des rations très intensives jusqu’à l’abattage. Il y a des éleveurs qui ont commencé à s’organiser pour avoir des ateliers d’engraissement communs. Cela n’a pas été forcément bien compris par les citoyens qui ont dit « on fait une ferme avec mille veaux ». Si on prend le côté positif : c’est éviter que nos broutards soient transportés loin et mélangés à des congénères inconnus dans des ateliers très intensifs. Je ne sais pas si ces initiatives ont été poursuivies. On aurait pu ainsi garder les broutards dans leurs groupes d’origine. On a montré que c’était déterminant. Il y a maintenant des engraisseurs qui prennent des groupes de veaux qui viennent d’un seul naisseur pour les engraisser. Ils disent qu’une fois qu’ils ont commencé à procéder ainsi ils ne veulent plus changer.

Interactions homme-animal

26.30 : Si on a des interactions avec les animaux il faut que les animaux comprennent nos intentions. Cela peut être aussi dangereux d’être trop familiers avec les animaux. On a vu dans des élevages d’engraissement de taurillons que le fait  qu’un éleveur soit un peu trop familier avec ses animaux avait conduit à produire des taurillons très difficilement manipulables. Quand on conduit un taurillon on va utiliser la distance de fuite c’est à dire qu’on va se positionner à un certain endroit par rapport à l’animal qui fait que l’animal va vouloir nous éviter car il va le ressentir comme une intrusion et va se déplacer. Du coup s’il n’y a plus cette distance de fuite on va avoir beaucoup de mal à déplacer les animaux et c’est là que sont utilisés les coups de bâton, la pile électrique.

28.02 : Il faut que les animaux nous comprennent. Par exemple quand on doit déplacer les animaux il faut qu’ils comprennent ce qu’ils doivent faire quand on fait tel mouvement et ils le comprennent facilement. Il ne faut pas être gentil un jour et méchant le jour suivant. Il faut avoir un comportement prévisible. Il faut comprendre que ce sont des animaux qui ont une certaine intelligence et qui comprennent le monde qui les entoure.

28.48 : Isabelle Veissier site l’exemple d’un éleveur de ferrandaises qui amenait à l’abattoir la vache et son veau à deux dans la bétaillère et au dernier moment seulement il sépare le veau de la vache. En faisant cela l’éleveur avait moins de stress et améliorait la qualité de la viande.

29.49 : Anecdote de deux cousins éleveurs de volailles : l’un trouve les réglementations bien être trop contraignante et l’autre dit que c’est très bien de donner plus de bien être aux animaux. Il y a donc, comme dans tous les secteurs, des variétés de points de vue.

30.52 : La question que je pose souvent c’est « pourquoi cette vache se brosse ?

S’il y a des vétérinaires dans la salle ils vont dire qu’elle a des parasites. Au bout d’un moment quelqu’un dit « parce qu’elle aime ça ». Le fait de dire cela veut dire que la vache peut ressentir des choses.

32.20 : C’est avec cette question d’animal sensible, qui peut ressentir des choses, que la question du bien être prend tout son sens.  On se pose moins la question sur les insectes car on a l’impression qu’ils peuvent ressentir moins de choses. Ceci dit plus la connaissance progresse et plus on s’aperçoit qu’il y a beaucoup plus d’animaux qu’on ne le pensait qui ressentent des choses. Cela a notamment été mis en évidence sur des crevettes où on a pu se rendre compte qu’elles étaient sensibles à des signaux douloureux mais elles peuvent aussi se souvenir de l’endroit où elles ont reçu ce stimulus douloureux. C’est quelque chose qui fait qu’on peut lier la cognition (pensée) et le ressentis (sensation) et cette ensemble fait qu’on peut avoir un expérience positive ou négative. On a montré chez des ovins que les animaux peuvent ressentir de la joie (s’ils reçoivent plus que ce à quoi ils s’attendaient) ou de la frustration (s’ils reçoivent moins).

34.10 : Face à des stress brutaux (un objet qui apparait soudainement derrière un bol dans lequel l’animal mange) on a vu que si l’animal pouvait prévoir (avec un signal déclenché juste avant l’apparition de l’objet), il était beaucoup moins stressé. Le stimulus est le même mais pas perçu de la même manière.

34.42 : C’est cette combinaison entre l’intellect et le ressenti primaire qui est à l’origine des émotions. Cela a été démontré chez l’homme et également chez les moutons. Les ovins, peu considérés pour leur intelligence, peuvent tout de même comprendre beaucoup de choses et ressentir tout un panel d’émotions.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *