10.00 : Réaction de Marie-Pierre Ellies face au hamburger avec des cellules cultivées in-vitro :
C’est Mark Post qui, le premier, a créé son premier hamburger in-vitro tel qu’il l’appelait. C’est aussi quelqu’un qui était très optimiste et qui annonçait que dix ans après on aurait probablement d’autres steaks. Effectivement ça prend un peu plus de temps que prévu pour beaucoup de raisons dont les aspects sensoriels et l’intensification de la production. Mais en 2013, pour Mark Post et pour les hollandais ça portait un grand espoir.
10.57 : Intervention de Jean-François Hocquette.
La difficulté est de passer du prototype de laboratoire à l’échelle industrielle. Et il y a beaucoup d’efforts à faire. ça nécessite du temps et des investissements.
11.30 : Hamburger
Je voudrais revenir sur le mot « hamburger » qu’il utilise. On peut discuter pour déterminer si ce produit doit être appelé « viande » ou pas sachant que pour le Larousse la viande provient des tissus musculaires des animaux d’élevage et dans ce cas précis on a certes cultivé des éléments qui ressemblent à des fibres musculaires mais on n’a pas fabriqué le muscle dans sa complexité c’est à dire avec des fibres musculaires bien organisées entourées d’une trame conjonctive avec des vaisseaux sanguins, avec des nerfs, des cellules de matières grasses,… Et on n’a pas non plus restitué sa complexité notamment la maturation de la viande pour passer de l’étape muscle à l’étape viande. Cette étape consiste à couper les protéines musculaires. Je vous rappelle qu’après l’abattage il y a une rigidité cadavérique et donc le muscle devient dur ensuite, par manque d’oxygène, le glycogène dans le muscle se transforme en lactate ça conduit à acidifier le tissu musculaire et progressivement à le transformer en viande parce qu’il y a des enzymes qui se mettent en route pour couper ces protéines. Et donc en biologie il y a une différence entre le mot muscle et le mot viande. Et dans l’expérience de 2013, il s’agit de fibres musculaires in-vitro et non pas de la viande. Il faut donc bien communiquer auprès du consommateur qui est la cible pour en garantir la transparence sans aucune ombre de tromperie ou d’imprécision auprès du consommateur.
14.40 : Marie-Pierre Ellies
En effet pour arriver à produire de la viande il faudrait arriver à produire cette matière complexe qu’on connait. Pour avoir cette complexité il faudrait y intégrer notamment des adipocytes (des cellules de gras). ça veut dire qu’il faudrait faire une co-culture. ça veut dire contrôler, au moment de multiplication cellulaire, à la fois ce qui correspond à la construction des fibres musculaires et ce qui correspond à la constitution des adipocytes. Et puis bien sûr il va être très difficile de reconstituer la diversité des muscles et des races qui produisent des viandes aux goûts très différents.
16.14 : Jean-François Hocquette
Les start up qui veulent commercialiser ces solutions in-vitro font souvent référence à Churchill (1931) qui prévoyait qu’on consommerait dans le futur de la viande produite dans des grands incubateurs au lieu de tuer les animaux. Etant donné toutes les contraintes d’environnement, d’augmentation de la population mondiale, … il faut bien sûr être attentif à toutes les recherches.
17.50 : On se re-intéresse à cette sorte de fibre au début des années 2000 notamment pour le spatial. C’est au pays bas que les choses vont se structurer dans les années 2010. Un premier industriel, Willem van Eelen, qui va lancer les premiers travaux par souci du bien-être animal et avec le soutien du gouvernement néerlandais.
18.10 : ça a ouvert la porte à de nombreux travaux. On peut citer des entreprises de la Silicon Valley, au moins deux en Israël, on en a en France qui se développent. On a ouvert la voie à différentes start-up qui ont souhaité produire des fibres de différents types animaux (bovin, porc et sait-on jamais sur le foie gras).
Reportage chez Gourmey, start up travaillant sur le foie gras in-vitro :
20.00 : Interviews des fondateurs de Gourmey
L’agriculture cellulaire peut contribuer à produire des éléments de notre patrimoine culinaire sans être limitée à des mets bas de gamme comme des nuggets ou des saucisses ou des burgers. C’est la même matière mais produite différemment.
20.29 : Comment on fait un foie gras à partir d’une cellule ?
On pourrait penser qu’on part d’une cellule de foie qu’on cultive en dehors du canard mais il se trouve que ces cellules de foie prolifèrent très bien dans le canard mais une fois qu’on les met en culture elles arrêtent de proliférer. En fait il s’agit de partir de cellules souches embryonnaires qu’on trouve dans un œuf de canard fraichement pondu. On isole certaines de ces cellules, on les amplifie dans un cultivateur avec sucres, lipides, protéines. Elles vont faire ce qu’elles font naturellement dans le corps du canard : elles vont proliférer. Ensuite on va les spécialiser en leur donnant les bons signaux (pour qu’elles se différencient en cellules de foie). Il s’agit d’une certaine combinaison de protéines qui va les « spécialiser ». La dernière étape consistera à reproduire le gavage à l’échelle de la cellule en lui donnant une certaine combinaison d’acides gras.
21.47 : Combien de temps entre la cellule et le foie comestible ?
Entre deux et trois semaines entre la prolifération des cellules jusqu’à la récolte. Alors qu’on est plutôt sur 100 jours avec un vrai canard gavé.
22.10 : Est-ce que ça ressemble à un vrai canard à la fin ? Les mêmes valeurs nutritives, le même goût, la même texture ?
Pour la valeur nutritive on n’a pas d’analyses poussées. Sur le goût on est très proche. Sur la texture il faut passer par une phase de travail de la cellule pour avoir la bonne texture. En fait on recueille une masse de cellules qu’on doit ensuite retravailler.
22.50 : Deux grands défis :
– échelle de production : on est encore à petite échelle de laboratoire il faudra changer d’échelle.
– le coût encore très élevé en raison des milieux de culture.
Avantage :
– absence d’antibiotique dans le procédé
24.10 : A quelle échéance on pourra déguster ce foie gras in-vitro ?
Plusieurs freins : changement d’échelle, la réglementation.
Si on associe les problématiques techniques et règlementaire, on peut dire dans 3 à 5 ans.
25.20 : Le foie gras c’est pour nous la première étape à partir du moment où on travaille à partir de cellules souches qui ont capacité à se spécialiser en tout type cellulaire (foie, muscle,…). Avant tout Gourmey est là pour répondre à l’impact négatif de l’élevage industriel.
Retour vers les scientifiques du plateau
26.10 : Marie-Pierre Ellies
Un certain nombre de points à résoudre ont été évoqués. Si on parle de steak de viande bovin on a besoin de cellules souches. On a besoin d’un milieu de culture dans lesquels il y a des facteurs de croissance, des nutriments et aussi des antibiotiques pour éviter les développements bactériens.
27.25 : Jean-François Hocquette
Ces pistes in-vitro vont demander beaucoup de temps. La position de l’INRAE consiste à se demander s’il n’existe pas de solutions plus rapides et plus efficaces.
L’intervenant parle de même matière or il est très difficile de reproduire une matière biologique. Dans les fibres musculaires il y a énormément de protéines (principalement l’actine et la myosine) et ces protéines sont constituées de plusieurs types de chaines polypeptidiques (lourdes et légères). La nature de ces chaines évolue durant la différenciation. La viande de culture est très riche en formes embryonnaire ou néonatale de cette chaine lourde de myosine. Chez l’animal on trouve plutôt des chaines adultes glycolytiques ou oxydatives,… On ne peut donc pas affirmer que c’est la même chose.
32.20 : Quel type de cellule souche on met en culture ?
On peut partir de cellules souches embryonnaires qui vont se différencier en myoblastes (cellules souches musculaires) ou de myoblastes embryonnaires qu’on va mettre en culture avec des nutriments, des facteurs de croissance apportés par le sérum fœtal de veau. C’est ce qui va permettre la différenciation des cellules.
33.50 : Les start-up disent qu’elles ont réussi à se passer de ce sérum qui nécessite de tuer des embryons. Or elles ne communiquent pas sur la composition de ce nouveau milieu de culture.Comment ces hormones et ces facteurs de croissance sont-ils produits en amont ?
35.40 : L’intégration d’hormones supplémentaires dans la chaine de production est interdite en Europe. Pourquoi le législateur accepterait l’apport total d’hormones et de facteurs de croissance nécessaires à la croissance des cellules musculaires et à leur différenciation. Donc ça pose un problème législatif. Je ne dis pas que c’est dangereux car l’hormone a certainement la même composition que l’hormone naturelle néanmoins comme il s’agit d’un processus maîtrisé par l’homme il faut s’assurer qu’il est sans danger pour la consommation. Et cela prend beaucoup de temps.
37.16 : On a deux possibilités pour produire ces fibres musculaires :
– on va centrifuger un muscle et obtenir des fragments qu’on va laisser pousser sur le milieu de culture. On va avoir un développement de couche qu’on va gratter et c’est ce qui va constituer nos fibres musculaires de culture ;
– on va prendre des cellules myoblastiques sur un support auquel elles vont s’attacher (par exemple des billes de collagène).
La complexité c’est de faire en sorte que les cellules se multiplient. ça se fait en général à température physiologique, ce qui amène une production de CO2 pour chauffer les incubateurs. Ceci n’est pas sans poser de problèmes environnementaux.
39.00 : Plusieurs stratégies :
– certaines start up produisent une matière peu structurée > hamburger
– une start-up israélienne tente de reproduire le tissus musculaire dans sa complexité mais qui est extrêmement fin car il y a un problème de diffusion de l’oxygène jusque dans les cellules situées au milieu du tissus.
40.40 : On peut faire des co-cultures de différentes populations cellulaires en particulier des pré-adipocytes qui vont se convertir en adipocytes. Toute la complexité va être de contrôler le milieu de culture pour que ces différentes populations ayant des besoins différents à différents moments puissent croitre en harmonie. C’est un grand défi. Il y a de nombreux laboratoires dans le monde qui travaillent sur ces sujets. La culture de tissu musculaire est maitrisée dans quelques dizaines de laboratoires. Les start up sont très peu nombreuses donc il faut relativiser cet engouement pour ces applications alimentaires.
42.40 : Présentation projet de thèse médicale sur les greffes de foie humain.
49.30 : Il sera très difficile de passer à une production de masse sans une véritable rupture technologique tant le gap est grand entre le point actuel et celui qu’il faudrait atteindre. Au-delà de ce point il y a l’acceptation sociale et éthique par le consommateur. Selon les études on arrive à 10% des personnes prêtes à consommer ce type de produits. La perception du consommateur va aussi dépendre de la couverture médiatique et de la façon dont on appelle ce produit. Si on l’appelle « viande de culture » ce sera différent que si on l’appelle « clean meat ». Les aspects sensoriels sont aussi à traiter.
54.20 : Il faut peut-être changer les comportements en consommant moins de produits carnés mais l’impact environnemental dépend en premier lieu de la quantité de ce qu’on mange.
55.50 : On a besoin de 2000 kcalories par jour. Avec le gaspillage on peut considérer que doivent être disponibles pour chacun 3000 kcalories. Dans les pays développés on a actuellement 4000 Kcalories réellement disponibles. Si on arrivait à rééquilibrer les choses entre 2750 et 3000 Kcalories pour la totalité de la population mondiale, on aurait suffisamment de ressources pour nourrir la totalité de la population mondiale à horizon 2050 et ce sans augmenter les surfaces cultivées.
Une enquête internationale est en cours sur ce sujet. Donner votre avis sur la viande de culture:
Français https://forms.gle/8rkohJHdTyLGRaEd6
Espagnol https://forms.gle/q1NDGA94iAq96Nzv6
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