Des sols vivants : conditions de réussite

Marc-André Selosse parle de l'importance des sols dans la constitution des vins. Comment favoriser ou au contraire réduire la vie du sol. Quels impacts ont les traitements phytosanitaires sur la plante ? ...

1.18 Plus qu’une expertise du secteur viticole, j’aimerais vous apporter une vision du sol vivant et d’un certain nombre de logiques que nous avons perdues parce que nous les avons remplacées par des logiques plus efficaces à court terme mais pas à long terme.

1.45 La vigne est intégrée dans un réseau vivant et que ce réseau nous l’avons rompu. La vigne grimpe dans les arbres, la vigne dans son écologie d’origine c’est une plante de la forêt riveraine. Elle pousse dans des sols extrêmement humides, extrêmement profonds. Elle sait aller très loin même s’il n’y a pas d’oxygène.

2.16 : Les liens que la vigne a avec les autres être vivants sont aussi des liens qui se voient moins que ce soit dans son milieu d’origine ou lorsque nous la cultivons. Ce sont des liens microbiens dans les sols.

2.30 : Le sol a de tout temps été construit par le vivant et même la fertilité est une affaire de vivant. L’azote du sol ne vient ni de la roche ni des plantes qui sont là. Mes collègues me disent qu’il n’y a pas que la fixation de l’azote par les bactéries qui amènent de l’azote dans le sol il y a aussi de l’azote qui tombe sous forme de poussière, de nitrate avec la pluie. Oui mais il vient d’un autre sol où il y a eu de la fixation d’azote. Donc que ce soit par importation ou sur place l’azote est issu de la vie du sol.

3.10 : Pour ce qui est de la fertilité minérale, la dissolution des éléments de la roche mère qui libère du phosphate, du potassium c’est aussi un mécanisme microbien. Il se fait dans le sol 10 à 100 fois plus vite qu’il se ferait par des mécanismes physico-chimiques pourquoi ? Parce qu’il y a des microbes qui vont chercher ce phosphore, ce potassium et qui vont hydrolyser, dissoudre les particules minérales du sol. Donc la fertilité qu’elle soit issue de la roche mère ou de l’atmosphère, elle est microbienne.

3.45 : Ce qui convoie cette fertilité du sol vers la plante ce sont des microbes. Contrairement à ce qu’on enseignait il y a encore 5 ans, où on parlait de poils absorbants, on parle de racines. Tout cela est un non-sens biologique. La plupart des plantes sont incapables d’utiliser leurs poils absorbants pour tirer n’importe quoi du sol et quand elles le feraient, comme les ressources vont très vite s’épuiser autour de la racine ça n’aurait pas de sens. Le phosphate ou le fer ferrique circulent très peu par exemple. Quand vous l’avez pompé dans la rhizosphère c’est fini il n’y en a plus. ça ne peut pas marcher car ces molécules-là sont très peu mobiles. Il faut aller les traquer là où elles sont. En fait l’acheminement il se fait par les microbes. C’est ce qu’on appelle les mycorhizes installés en partie dans la racine et pour partie ils vont explorer le sol jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres mais quelques millimètres c’est déjà énorme à l’échelle. Ils vont aller chercher les molécules peu mobiles, ils vont les rapatrier vers la plante et vont les céder en échange de sucres à la plante. Donc ce sont eux les convoyeurs en quelques sortes.
5.12 : Il faut bien comprendre que le sol est dilué et qu’un certain nombre de ressources n’y sont pas mobiles. Donc sans mycorhizes ça ne marche pas. Ou pour que ça marche il faut gaver le système ce sont les engrais minéraux qu’on applique. Quand on gave le système la plante finit par trouver dans sa rhizosphère ce dont elle a besoin pour un coût moindre que de nourrir un champignon. Vous cassez l’alliance autrement dit les plantes ne se mycorhizent moins ou plus. Et si elles le font c’est un pur coût pour elles.
5.53 : Quand on ajoute des engrais c’est exactement comme quand on met sous perfusion avec une poche de glucose et quelques acides aminés ça marche… à court terme. Sauf qu’à long terme on a aussi perdu ces champignons pour qui la racine est un lieu de vie et de ressource. On a aussi perdu un système de défense qui va jusqu’à la modification des réponses immunitaires de la plante. Donc ils sont physiquement présents et vont lutter contre les intrus simplement en mangeant ce qu’il y a à manger voir dans certains cas en émettant des substances antibiotiques et ils modifient la plante en la rendant plus capable de réagir non par altruisme mais simplement parce que chaque fois qu’ils protègent la racine ils assurent une plus grande sécurité à leurs ressources.
7.00 : C’est une logique évolutive profonde qui fait que l’immunité de la plante est construite sur le champignon. C’est là qu’on comprend que les engrais c’est du court terme et ça marche peut être mieux car il y a plus d’azote, plus de phosphate, plus de potassium pour un coût  moindre pour la plante mais à long terme vous perdez l’effet phytosanitaire.
7.20 : Vous vous dites ce n’est pas grave, on va traiter. Et on entre dans une double spirale de dépendance aux pesticides : je mets des engrais, la plante s’appuie moins sur les champignons, il y a moins de champignons donc je vais avoir plus besoin d’engrais la fois suivante mais aussi je vais avoir moins d’effet phytosanitaire et donc je vais avoir besoin de pesticides qui eux-mêmes contribuent à réduire la présence mycorhisienne. Cette double boucle vicieuse a une vertu : elle a lissé quantitativement l’approvisionnement nutritif de l’humanité. Il n’y a plus de farine en Europe depuis la fin du XIXe. Ce processus a permis le décollage démographique de l’humanité.

8.55 : En essayant de résoudre nos problèmes nous sommes juste en train de préparer ceux de la génération suivante. Il faut être plein d’humilité.

9: L’autre leçon de cette histoire : C’est que non seulement ceux qui ont créé cette agriculture ne sont pas des terroristes contrairement à ceux qui veulent persister. Nous serons des terroristes si nous ne nous mettons pas dans l’état d’esprit d’évoluer perpétuellement. Pour l’agriculture c’est une charge lourde car elle a déjà beaucoup de mal à se porter économiquement et humainement.

9.49 : Les microbes font aussi la santé des parties aériennes. Il faut se représenter la feuille comme quelque chose qui a un pelage microbien. Comme le microbiote de votre peau. C’est exactement la même chose.

10.20 : Quand vous avez une surface de feuille elle est habitée. Et il y a des microbes qui entrent à la faveur des stomates. La structure est très différente de la nôtre. Les cellules ont une paroi, les parois protègent donc il peut y avoir des délaminations de la paroi qui font des micro-trous. Il y a des trous partout dans la plante qui sont ce système vasculaire complètement oublié, le système par lequel circulent les gaz dans la plante jusque dans les racines. Ces micro-trous sont reliés entre eux un peu comme des micro-porosités de sols. Quand on tient une feuille de vigne on a une bonne vingtaine d’espèces de champignons minium. Vous avez 100 millions de bactéries par gramme de feuille. Pour tous la feuille est leur milieu de vie physique et leur ressource. Donc même logique évolutive : tout ce qui leur permet d’améliorer la santé de leur structure est bon pour eux et leur assure la capacité de faire plus de descendants.
12.02 : Quand on bazarde du pesticides sur une feuille on résout le problème (c’est parfois nécessaire) tout le monde meurt. Elle devient une feuille nue, privée de défense offerte aux pathogènes. Je ne dis pas qu’on ne soit pas amener à utiliser des pesticides dans certaines circonstances. Mais c’est comme les antibiotiques : plus vous tapez sur la tête du méchant au temps « T » et plus vous vous privez des défenses ordinaires par la suite.
12.30 : Il y a un microbiote et des petits acariens dans la feuille. Un typhlodrome par feuille vous réduit considérablement le développement de champignons pathogènes. Lorsque ces champignons, des acariens et bactéries superficielles se sont pris dans la tête de la bouillie bordelaise, ils sont plus là. Tant que la bouille bordelaise est là, elle fait le travail mais quand elle est lessivée par la pluie c’est une feuille nue, privée de défense qui est offerte aux pathogènes. Les microbiotes sont dans toute la plante contrairement aux animaux par exemple qui n’en ont que sur la peau et dans le tube digestif. Dans la plante les microbes sont mélangés aux cellules.

14.00 Autour de la vigne il y a aussi de arbres, des plantes. Les plantes sont en compétition : les feuilles notamment pour la lumière ; les racines pour les ressources du sol. Il y a aussi des effets de synergie.
14.50 : Les effets de synergies sont d’autant plus important que le milieu est pauvre. Kropotkine, biologique à la base a étudié l‘entraide,  faisait observer que le partage des ressources était moins fréquent parmi les pauvres que parmi les riches. Plus un milieu est riche, plus les ressources sont abondantes, plus la stratégie la plus stable est de se les accaparer. Moins elles sont riches moins on arrive à entrer en compétition parce qu’on est le produit de tas de stress et de tas. La compétition est moins opérante et l’entraide est avantagée. ça veut dire que plus vous faites un sol plus riches pour encouragez la compétition entre les plantes. Si vous faites un sol légèrement moins riches, il y aura plus de synergies possibles. La compétition pour l’eau est d’autant plus forte quand la vigne est enherbée alors qu’elle n’a pas connu l’eau depuis son jeune âge. Parce qu’évidemment elle n’a pas disposé ses racines de façon à faire face à ce manque d’eau.
16.48 : Porosité du sol. L’une des raisons de labourer le sol est de faire des trous pour que l’eau rentre. Sauf qu’on fait des gros trous et ce ne sont pas ceux-là qui sont intéressants. La réserve utile elle est dans la mezzo-porosité. Elle est dans les pores assez petits pour retenir l’eau et pas trop grands sinon ils ne retiennent pas l’eau qui s’en va par gravité. Qu’est-ce qui fait la mezzo-porosité d’un sol ? C’est pas le labour c’est le déplacement des microbes, c’est la croissance d’un champignon qui meurt et qui laisse un trou, c’est la poussée d’une racine qui va ménager des pores de la bonne taille. ça explique qu’une surface enherbée va avoir une plus grande réserve en eau. L’effet de la compétition sera moins fort que d’ajouter des plantes sur un sol labouré.
18.32 : Sujet tabou en France : l’irrigation de la vigne. Dans certaines régions, ce ne serait pas aberrant d’aider la vigne avec de l’eau si elle existe bien sûr sur place et que ça ne se fait au détriment de la qualité.

19.00 : Pourquoi vouloir des couverts ?
Ces plantes sont l’une des entrées du carbone dans le sol. Il faut savoir que 50% de la photosynthèse passe sous-terre et finit par faire des racines qui font des exsudats (20-30% de la photosynthèse). Ensuite elles meurent. C’est de l’injection de matières organiques, de matières qui va vers les champignons mycorhiziens, de matière morte ou exsudée qui va vers des microbes du sol. C’est ça qui va soutenir la vie du sol.

20.18 : Des essais de laboratoire montrent que de l’azote peut passer des plantes de l’inter-rangs vers la vigne. Et là on a très envie de mettre dans l’inter-rang des plantes fixatrices d’azote. On s’est aperçu que l’azote ne passe pas si on coupe les filaments des champignons mycorhiziens. Les mêmes champignons collonisent à la fois les racines de la vigne d’un côté et ces fameuses mauvaises herbes. ça montre bien au passage que ce que nourrissent ces mauvaises herbes c’est bien les champignons qui peuvent ensuite se connecter à la vigne quand elle aura des besoins. C’est ce réseau mycorhizien qui est une voie par lequel il peut y avoir des échanges dans les deux sens entre la vigne et les plantes voisines.

20.56 : Finalement on se dit  : si on arrive à gérer notre couvert de telle sorte qu’il opère des transferts dans la bonne direction, on aura gagné. On aura nos plantes qui textureront le sol par rapport à la réserve en eau, qui feront la portance, qui nourriront les champignons mycorhiziens et qui même peut être pourraient nourrir la vigne. Nous avons pensé en terme de compétition et nous sommes arrivés à l’élimination de ces mauvaises herbes mais il y a tout de même des complémentarités à retrouver. Malheureusement on est juste en train de découvrir les gestes techniques qui accompagneraient ces « retrouvailles ».

21.40 : Il y a une collaboration entre les végétaux. C’est le programme de l’agroforesterie, des cultures mixtes, des vignes enherbées. Enlever les « mauvaises herbes » revient à détruire les réseaux de champignons mycorhiziens.

22.30 : Retrouver ces complémentarités entre plantes c’est urgent. C’est développé, pour de bonnes et mauvaises raisons, une forte hostilité chez les jeunes générations face à l’utilisation des intrants. C’est en partie une erreur parce qu’à l’échelle d’une parcelle à un moment il faut ramener d’autres choses. Plutôt organique que minéral. Cette génération ne veut plus d’intrants.

23.20 : Quand je lis des ouvrages de Seralini sur la présence de pesticides dans le vin, je m’exclame sur l’absence de méthode mais je pense que sur le fond il a raison. Aujourd’hui les consommateurs veulent autre chose. Je pense qu’il va falloir aussi gérer cette dictature au sens de mouvement conduit par des choses pas toujours raisonnables et scientifiques. Plus vite on le gérera, plus vite on prendra les parts de marché qui correspondent. Il y a aussi cette idée que partir trop tard revient à ne pas partir.
24.05 : Dans les choses qui nous forcent à évoluer il y a aussi les consommateurs.

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